Vivre avec les animaux



A la fin du XVIIIème siècle, le regard sur les animaux change en Occident. Descartes avait imposé l’idée que les animaux étaient comme des machines, incapables de parler, incapables de penser. Mais Jérémy Bentham s’inspire des débats autour de l’esclavage pour changer les mentalités. 

Les différences de traitement imposées aux êtres vivants ne sont pas fondées. Même s’il s’agit de raison ou de conversation, certains animaux peuvent dépasser d’autres humains. 

Mais surtout, le vrai critère moral que propose Bentham est celui de la sensibilité. Les animaux peuvent comme nous ressentir du plaisir ou de la douleur, ce qui signifie qu’ils peuvent participer comme nous à la recherche du bonheur. Ce critère moral est nouveau, mais il s’accorde avec la philosophie utilitariste de Bentham, qui vise à produire le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Peter Singer, qui est l’utilitariste le plus célèbre aujourd’hui, a ainsi calculé que les poulets sont l’espèce animale qui ressent le plus de douleur. Le calcul de la maximisation du bonheur doit donc commencer par faire cesser cette douleur animale. 

Bentham est utile pour penser notre morale de façon plus cohérente. En effet, nous acceptons de manger des animaux. Mais cela constitue une violence, qui ne peut pas être prise pour principe du reste de nos actions morales. Sommes-nous alors cohérents moralement ? Soit nous devrions devenir tous végétariens, soit nous devrions accepter que la loi du plus fort s’impose dans tout le reste de notre existence… 

Dans tous les cas, il est absurde de traiter différemment des animaux qui ont des caractéristiques similaires. Si nous mangeons les cochons, nous pourrions selon toutes vraisemblances manger nos chiens et nos hamsters (qui sont cognitivement moins développés que le cochon). Cette différence de traitement, fondé sur rien d’autre que la préférence et les préjugés, est nommé spécisme. Les utilitaristes sont les premiers anti-spécistes (avant la création du mot) dans la mesure où les animaux doivent être distingués, non selon note fantaisie et nos préjugés, mais selon leur caractéristiques réelles (de sensibilité, d’intelligence, etc.).


Une histoire longue de la défense des animaux

Les arguments favorables aux animaux ne manquent pas. Pythagore ou Porphyre défendaient le végétarisme. 

Les arguments sont parfois religieux : les âmes des humains peuvent vivre dans les corps animaux. Les arguments sont parfois physiologiques : nous ne sommes pas différents, notre chair partage la même sensibilité, la même vulnérabilité. Nous avons une âme. Les arguments sont également plus pragmatiques : les animaux sont nos « compagnons de travaux » et il ne serait pas corrects de les maltraiter.

Si l’on adopte le point des humains néanmoins, les animaux pourraient n’être que des outils pour notre bien-être. Cicéron défend ce point de vue, en décrivant un monde entièrement organisé pour les humains, et en supposant que les animaux ne prennent pas soin d’eux-mêmes au même point que les humains. 

Les auteurs sont : soit anthropocentristes, et imaginent que les animaux n’ont pas de dignité propre ; soit ils mettent les humains et les animaux à égalité et leur accordent du respect. Mais Kant tient les deux positions en même temps : s’il est favorable à un meilleur traitement des animaux, il pense que ce sont les humains qui ont cette responsabilité pour eux-mêmes. Pour Kant, le traitement des animaux est donc un devoir envers soi-même, et non par empathie des animaux.

Mais n’est-ce pas encore transformer les animaux en outils pour notre moralité ? Schopenhauer réclame de notre espèce qu’elle soit capable de faire preuve de pitié, c’est-à-dire de dépasser la frontière artificielle entre individus et espèces pour saisir que tout être vivant risque de souffrir en se lançant dans la course à la satisfaction des désirs. La pitié consiste ni plus ni moins à voir derrière le voile des catégories ce qui nous unit et nous lie véritablement. 


De nouvelles éthiques.

Le rapport aux animaux a donc changé. Mais ce n’est pas sans difficulté.

D’abord, on peut vouloir défendre un écosystème et donc limiter et tuer les animaux qui mettraient en péril ce qu’Aldo Leopold appelle la communauté biotique. Lui-même est garde forestier et il a été témoin du changement du paysage montagneux lorsqu’il a tué les loups pour laisser vivre les cerfs. Le rôle de l’humain n’est pas de conquérir un écosystème et de lui imposer un ordre qui ne sert que lui (par exemple tuer les espèces dangereuses pour l’humain, comme le requin ou les serpents pour qu’il puisse surfer ou marcher tranquille). Le rôle de l’humain est de conserver un équilibre au sein de la communauté biotique en continuant de découvrir et d’apprendre les multiples liens qui unissent les êtres vivants entre eux.

Ensuite, les animaux sont aussi des êtres qui ont une histoire commune avec les humains. Ils ont une appartenance sociale (membership) à la communauté humaine. Cerains animaux ont été façonnés par la vie avec les humains (les chiens, les moutons, etc ont été selctionnés par nous depuis longtemps) et d’autres en revanche n’ont jamais fait que traverser notre territoire en échappant à la domestication (les rats, les pigeons, etc). Il faut donc comprendre leurs rôles pour déterminer le type de respects qu’on leur doit. Les animaux domestiques ont un rôle équivalent à celui de membres de la communauté humaine : ils ne peuvent plus vivre sans nous. Une partie des animaux domestiqués sont en revanche semi-autonome. Ils sont comme des étrangers, à qui nous devons un respect (éviter l’exploitation) mais qui travaillent à nos côtés. D’autres animaux ont des territoires parfaitement autonomes qu’on ne doit pas détruire ou traverser. 

Si les humains devaient vivre avec des moutons, ils seraient libres de se déplacer, ils seraient également tondus par souci d’hygiène, mais leur laine devrait-elle être l’objet d’une exploitation ? Tant que cette exploitation reste secondaire, elle est tolérable, mais les moutons participent de toute façon, comme sur l’île danoise de Samsø, à la vie collective, en fertilisant les sols et en les désherbant. En tant que compagnons de travaux, ils sont donc différents des autres animaux et doivent être l’objet d’une attention particulière.


La seule solution pour être cohérent d’un point de vue moral est de commencer à s’intéresser aux liens qui nous unissent aux animaux et à les connaîter pour distinguer les différents respects qu’on leur doit.

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