Langage animal
Importance du langage
Pour Kant, le fait de dire « je » nous confère un statut moral particulière : nous devenons une « personne », c’est-à-dire un sujet capable de s’auto-déterminer et dont la dignité mérite d’être préservée. L’humain se pense plutôt qu’il ne se sent. Quand un enfant dit « Charles a faim » (c’est l’exemple de Kant), il se pense comme une chose poussée par une force, la faim. Quand il commence à dire « J’ai faim » il se considère comme étant l’origine de la faim, capable de maîtriser les passions plutôt que de les subir et donc responsable de celles-ci. Le sujet transcende ses appétits.
La subjectivité, le fait de dire « Je » distingue donc l’homme des animaux qui en revanche ne peuvent pas se penser et dire « je ». Kant conclut donc radicalement que nous pouvons disposer des animaux à notre guise. Nous ne commettons aucun mal à des animaux qui de toute façon n’avaient pas formé pour eux-mêmes de projets propres mais étaient seulement gouvernés par leurs passions.
Pas de pensée animale ?
Le langage est la seule activité qui permet de témoigner d’une pensée. Mais quelle pensée ? Si la pensée s’entend dans un sens général (sentir, imaginer, affirmer, nier, raisonner etc) alors pourquoi les animaux n’auraient-ils pas une vie intérieure ? Une pensée selon Descartes doit pouvoir être pure de toute passion, c’est-à-dire sans lien avec le corps, pour être une véritable pensée. Or, si les animaux s’expriment, ils semblent ne parler que d’une chose : leur passion.
L’argument central de Descartes contre un véritable langage animal est que les animaux voudraient nous parler s’ils avaient quelque chose à nous dire, tout comme les sourds et muets ont besoin d’inventer un langage pour communiquer plus que des passions mais également des pensées.
Mais à quoi sert véritablement une langue parlée ? Et que veut-on dire lorsqu’on la déclare capable d’exprimer autre chose que ses passions ?
Fonctions du langage.
Parmi les six fonctions du langage observée par Jakobson, il y en a une seule qui se rapporte au contenu du message à proprement parler. La fonction phatique sert à établir une connexion entre deux interlocuteurs, la fonction conative à faire agir l’interlocuteur, la fonction expressive à traduire une réaction face à lui, la fonction méta-linguistique (complexe) ne porte pas sur le contenu mais sur la forme linguistique elle-même, enfin la fonction descriptive concerne le réel auquel renvoie le message. La fonction poiétique concerne la capacité à créer un message librement et à en varier le contenu.
Les animaux ne peuvent-ils pas maîtriser d’autres fonctions linguistiques hormis la fonction poiétique ? Ils utilisent des signaux qui ont un sens relatif à un contexte (comme un signal de détresse que l’on emploie uniquement lorsqu’on est soi-même en détresse).
Ils produisent donc une réaction chez l’autre (fonction conative) et ils expriment un état (fonction expressive). Par ailleurs ils établissent nécessairement une communication en appelant les autres animaux (fonction phatique) et savent se rapporter à un réel existant (fonction descriptive). En revanche, peuvent-ils employer des mots ?
Un signe suppose de savoir désigner une chose lorsqu’elle est absente. Le mot « fleur » désigne la fleur que l’on soit à proximité d’une fleur ou qu’il n’y ait aucune fleur à proximité. Les mots ont donc une portée descriptive plus grandes que les signaux. Ils sont généraux (comme on l’a vu avec Bergson) mais ils sont aussi stabilisées et leurs formes est identique. La maîtrise de ces symboles n’apparaît pas chez les animaux… même si certains grands singes (comme la gorille Koko) ont montré une certaines maîtrise.
Le cas des abeilles
Mais pensons également aux abeilles, n’ont-elles une danse qui permet de désigner une chose absente ?
Ce qu’a montré Karl Von Frisch est qu’elles peuvent désigner la position de pollen aux alentours, jusqu’à 10 km. Leur langage utilise donc un signe, susceptible de variation, qui permet une communication. Mais ces trois caractéristiques ne sont pas suffisantes. Il faut que le langage soit compris en tant que tel comme signe, et donc la danse des abeilles devrait être imitable par les autres abeilles.
Le linguiste Emile Benvéniste en conclut donc que les abeilles ne parlent pas : elles ne dialoguent pas, parce que leur message n’est pas indépendant du contexte, et finalement elles n’ont pas besoin d’inventer et de créer des mots en faisant appel à des structures linguistiques. Elles ne peuvent pas parler pour ne rien dire. Ce qui est donc le propre des humains, c’est de parler sans aucun rapport nécessaire à la réalité.
La fonction politique du langage.
Aristote fait du langage le fondement de la cité. En effet, dans la phrase « l’homme est un animal politique » ce qu’il faut entendre est deux choses : d’abord, les humains ne peuvent pas vivre pleinement hors de la cité, ce qui veut dire que la cité est la taille naturelle et normale des groupes humains pour qu’ils soient capables de devenir pleinement humains est la cité. La famille ou le village sont trop limités.
Ensuite il faut comprendre que les humains sont capables de vivre en société parce qu’ils sont capables de parler, et peuvent délibérer des règles de vie en société. Le langage humain est en effet plus général et plus universel que celui des animaux (qui n’expriment que des sensations agréables). Les humains peuvent donc émettre des ordres qui sont supposés universels et éternels, comme le « tu ne tueras point », qui vaut pour tous les humains en toute époque.
La politique consiste donc à parler de ce qui nous unit.