La science peut-elle nous débarrasser de nos croyances ?

L'éponge eupléctuelle est-elle un miracle de la nature ou le banal résultat de l'évolution naturelle ?


La science propose une méthode pour vérifier des connaissances (= les rendre vraies), tandis qu’une croyance indique un degré d’attachement qu’on porte à une idée, une opinion, quels que soient par ailleurs les modes de connaissances. On parle alors d’opinion car on opine à une idée (opiner = accorder sa croyance, accepter). Croyance et science sont deux moments différents dans la recherche de la vérité, pas nécessairement antinomiques. Un résultat scientifique est cru, au sens où on tient pour existant la loi scientifique qui est démontrée. (CROIRE A = tenir pour existant, adhérer à..., opiner à...)

Mais la science existe parce qu’on constate naturellement un écart entre ce qu’on croit être et ce qui est vraiment. On ne peut pas sauter directement à l’étape de la croyance sans avoir vérifier ce à quoi on croit. Il ne faut pas confondre la certitude subjective (la croyance) avec la certitude objective, obtenue par une méthode scientifique. Or on voit bien de ce point de vue, que la croyance manque de quelque chose que la science apporte. Il y a une différence hiérarchique entre la croyance et la science qui rend la science supérieure. La science apporte en effet : 

- une objectivité des connaissances (tout le monde peut faire les mêmes observations, une expérience qui ne peut être faite que par une personne n’est pas valable)

- une systématicité des connaissances (les lois scientifiques sont valides si elles s’appliquent à un grand nombre de phénomènes - on doit pouvoir unifier les explications scientifiques)

- une prédiction possible (on doit pouvoir utiliser la science pour dire ce qui va arriver). A ce titre… l’économie, l’histoire, la sociologie… ne sont peut-être pas des sciences, ou moins rigoureuses.

    Mais la science est-elle complètement dépourvu de croyance ? Car avant de trouver un résultat vrai, ou considéré comme correct, il faut nécessairement que quelque chose soit imaginé comme pouvant être vrai. Quelle différence y a-t-il entre une croyance non-vérifiée et une hypothèse scientifique ? Si c’est le manque de connaissances qui produit la croyance, la science étant en évolution, elle ne peut avoir toutes les réponses et elle doit avoir recours à des croyances aussi. 

La science est-elle LA SEULE autorise a dire ce a quoi il faut croire, ou bien Y A-T-IL DES CROYANCES LEGITIMES Y COMPRIS POUR LA SCIENCE ELLE-MÊME ? 

 La croyance ne se résume pas à accepter l’existence d’une chose. La science ne peut pas tout connaître. Alors une autre forme de croyance se manifeste : on a foi en la science même si elle n'a pas toutes les réponses. On a supposé jusqu’à présent que la croyance devait intervenir après le travail scientifique, mais il est possible non seulement qu’elle intervienne avant, mais qu’elle accompagne même la science car il faut parfois soutenir des hypothèses qui ne sont pas démontrées. CROIRE EN = avoir foi/confiance en. On peut même dire qu’on croit en la science, lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un problème. en ce sens plus général, la science n’est alors peut-être qu’une forme différente de croyance - une croyance vérifiée.


EXEMPLE : une explication scientifique de la traversée de la Mer Rouge.

« États-Unis - Carl Drews et son équipe pensent avoir découvert un modèle expliquant scientifiquement l'épisode de la sortie d'Égypte, décrit dans le livre biblique de l'Exode. La division des eaux de la mer Rouge serait selon eux un phénomène naturel, explicable grâce aux lois de la physique.

"Moïse étendit la main sur la mer, et Yahvé refoula la mer toute la nuit par un fort vent d'est ; il la mit à sec et les eaux se fendirent. Les enfants d'Israël pénétrèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux formaient autour d'eux une muraille, à droite et à gauche". Telle est la scène de la sortie d'Égypte décrite par les versets 21 et 22 du chapitre 14 de l'Exode.

Si la capacité de Moïse à diviser les eaux de la mer Rouge peut être remise en question, un fort vent d'est ayant soufflé toute la nuit durant la sortie d'Égypte pourrait bien avoir fait reculer les flots du lac de Tanis. C'est ce qu'explique Carl Drews, l'un des scientifiques à l'origine d'une étude menée au National Center for Atmospheric Research, en partenariat avec l'université du Colorado à Boulder : "Nos simulations correspondent de façon très proche à ce qui est décrit dans le récit de l'Exode".

Ces simulations sur ordinateur, réalisées dans le cadre d'une étude plus large décrivant les interactions entre vents et eaux, montrent que le vent, en poussant les eaux d'un lac ou d'un océan toujours dans la même direction, peut parfois permettre le dégagement d'un passage à sec temporaire, permettant de traverser le plan d'eau victime de ce phénomène naturel à pied. 

"Le partage des eaux peut être compris grâce à la dynamique des fluides. Le vent fait bouger les eaux d'une manière qui, conformément aux lois de la physique, crée un passage sûr encadré des deux côtés par les flots. Des conditions qui vont ensuite laisser brusquement les eaux reprendre leur place" ajoute Carl Drews. »

Si les textes religieux diffèrent quelque peu dans leur description des faits, tous parlent de Moïse guidant le peuple d'Israël hors d'Égypte en traversant la mer Rouge à pied. Les soldats du pharaon, lancés aux trousses des exilés, auraient pour leur part été engloutis par les eaux, soudainement revenues à leur place.
L'équipe à l'origine de cette étude pense que cette traversée aurait en réalité eu lieu près de la Méditerranée, au bord du lac de Tanis. Pour eux, à cet endroit, des vents d'environ 100 km/h, soufflant de façon continue pendant une douzaine d'heures, pourraient avoir fait reculer des eaux profondes de 1,80 mètre. "Le passage qui mesurait alors 3 à 4 kilomètres de long et 5 kilomètres de large aurait pu rester ouvert pendant 4 heures", expliquent-ils dans la revue PLoS ONE.

Qu’est-ce qui est remis en cause par la science ? La cause de l’écartement des eaux. On applique les critères scientifiques : le vent est observable objectivement, « l’écartement » des eaux est homogène avec les lois scientifiques connues par ailleurs (la mécanique des fluides), et on peut prédire quand le phénomène se répètera. 

Les croyance sont-elles réfutées ? Le premier réflexe est de se dire alors : ce n’est pas un miracle de la part de Dieu, puisque ce sont les lois de la nature qui sont respectées. Mais Dieu n’a-t-il pas tout simplement agi sur la puissance des vents. Pourquoi n’agirait-il pas par l’intermédiaire des lois physiques ? Autrement dit, la croyance religieuse par exemple n’est pas infondé, elle est en recherche de preuves… tout comme la science elle-même. 


I. Opposition entre croyance et vérité. 


1. Une différence de degré.

Les croyances ne sont pas inutiles. Si on se dit qu’une horloge est une horloge c’est souvent parce qu’on s’en sert comme d’une horloge. Il nous est utile de croire que c’est une horloge. C’est la définition de la vérité par William James (début 20ème siècle) : « la vérité c’est ce qui paie » (par payer, il faut entendre « satisfaire »). On peut qualifier de « pragmatique » cette vérité car elle est tournée vers l’action (pragmatikos signifie « relatif à l’action »). 

Selon cette définition de la vérité, la différence entre l’opinion et le scientifique n’est qu’une question de degré. Le prof de philo fatigué a besoin de croire qu’il s’agit d’une horloge pour sortir de cours à l’heure. Mais l’esprit scientifique ne se contenterait pas si facilement de cette croyance, il voudra vérifier qu’il s’agit d’une horloge, peut-être contacter un horloger célèbre, peut-être se lancer dans une formation d’horloger... Bref, cette différence de degré est aussi une différence dans la proximité qu’on cherche avec « l’entourage de l’objet ». La véritable recherche scientifique se mesure à la profondeur du processus de vérification. Car c’est pendant ce processus de vérification qu’on affine également ce qu’on cherche véritablement. La vérité n’est pas qu’une simple adéquation, comme si d’un saut, on passait de son idée au réel qui lui correspond. C'est un processus, un chemin.

    Si l'on veut dire d’un objet qu’il est une horloge, cela demande des degrés considérables de vérification. Aucune vérité ne peut être atteinte d’un coup. Autrement dit, nous vivons nécessairement endettés à l’égard des vérifications que les autres ont faites pour nous. De la vérité, on peut donc dire qu’« elle vit à crédit la plupart du temps ». Il est inévitable qu’une partie de nos croyances soient seulement probables. 

    L’ensemble de nos croyances semble se soutenir mutuellement, comme un agrégat cohérent de croyances, qui ne repose sur aucune certitude qui servirait de fondement. William James soutient que nous ne suivons pas la méthode de Descartes. La certitude du cogito se transfère à la certitude de l’existence de dieu puis à la certitude que le monde peut être connu. On croit à un énoncé sans le vérifier s'il est soutenu d'autres énoncés vraisemblables. Or l’ensemble de nos croyances, s’il est cohérent, n’est pas homogène : toutes nos croyances ne peuvent être également vérifiées. Il reste donc toujours possible que notre édifice de croyances s’effondre.


2. une différence de nature.

On peut soutenir avec Russell qu’il n’y a pas de science sans croyance – entendue dans son sens le plus faible : une adhésion subjective, une certitude, qui est le résultat du processus de vérification. Mais le propre de la science est de reconnaître qu’il y a un monde extérieur à connaître. 

La science et l’opinion peuvent être en accord sur certains énoncés : le soleil brille, l’eau bout à 100°, boire du café est l’une des 5 meilleures habitudes quotidiennes (selon Dr Sanjiv Chopra, professeur de médecine au Harvard Medical School)… Mais les méthodes pour y parvenir ne sont pas les mêmes. Gare aux faux consensus ! L’opinion veut arriver à une conclusion coûte que coûte, « elle ne pense pas » dit Bachelard. Tous ceux qui oublient la capacité à suivre une méthode au profit du seul résultat dénature l’idée même de science. Il n’y a pas de vulgarisation scientifique possible si on ne confronte pas ceux qu’on éduquent au réel. Et notamment, la vérité essentielle que veut transmettre la science est que : LE REEL N’EST PAS DONNE. Autrement dit, la science se démarque nettement de la croyance par un postulat (ou une croyance si on veut) qu’elle rejette : le donné n’existe pas. Il n’y a pas d’énoncé vrai par lui-même. Ou de vérité qui serait aussi spontané et simple que les apparences sensibles. En un sens, donc, Platon a raison : la science exige un effort pour s’arracher du confort des apparences et des opinions. La science veut connaître le réel tandis que l’opinion ne veut retenir que ce qui lui est utile de penser.

Pour un scientifique, « tout est construit ». Autrement dit, rien n’est assez évident pour qu’on arrive immédiatement à une vérité. Mais tout est construit aussi parce qu’un dispositif expérimental doit être réellement fabriqué (c’est la deuxième partie du cours).

Cette façon d’éviter la réalité au profit de ce qui nous intéresse est le signe même de l’illusion selon Freud… qui justement se signale par le fait qu’elle préfère ne pas risquer de se tromper plutôt que de chercher à connaître le réel. 


3. Deux interprétations du monde opposées

Il y a une nette opposition entre les visions du monde religieuses et scientifiques. C’est là que la bataille commence. Car même si les faits peuvent être admis par tous (à l’exception des faits miraculeux qui sont pas systématisables ou prévisibles), ils relèvent de deux interprétations du monde différentes. Une interprétation consiste à trouver un sens / construire un ordre à partir d’éléments séparés. 

Spinoza a été le premier à opposer radicalement la science et une forme superstitieuse mais naturelle de la religion. 

DIGRESSION : L’un des plus anciens arguments favorable à l’existence de Dieu consiste à dire que cette notion de Dieu est naturelle. C’est l’argument de Cicéron (ou plutôt c’est un argument qu’il présente avec beaucoup de précautions). C’est un argument d’autorité, c’est-à-dire un argument qui ne démontre rien logiquement mais qui justifie une adhésion pratique (indépendamment de son contenu). 

Voici l’argument présenté par Cicéron : 


L'argument décisif qui nous oblige à reconnaître l'existence des dieux, c'est, as-tu déclaré, que les hommes de toutes nations et de toutes races y ont cru. Outre qu'il n'a pas grand poids, il enveloppe une erreur. En premier lieu d'où sais-tu ce que pensent les nations? J'estime, quant à moi, qu'il y a bien des peuples assez enfoncés dans la sauvagerie pour n'avoir des dieux aucune idée. Mais que penses-tu de Diagoras qu'on a nommé l’athée ? Lui et, plus tard, Théodore n'ont-ils pas nié ouvertement les dieux ? De l'Abdéritain Protagoras toi-même as fait mention. Ce sophiste, le plus grand de son siècle, ayant énoncé au début de son livre cette proposition : «En ce qui concerne les dieux je ne puis dire s'ils existent ou n'existent pas, les Athéniens le chassèrent de leur ville et même de leur territoire et son ouvrage fut brûlé publiquement. Ce châtiment, auquel il ne put échapper pour avoir seulement émis un doute, détourne, je crois, plus d'un incrédule d'afficher son opinion.
Que dire maintenant des sacrilèges, des impies, des parjures. Si jamais, comme le dit Lucilius, Lucius Tubulus ou Lupus ou Carbon, ce fils de Neptune, avaient cru à l'existence des dieux, auraient-ils poussé aussi loin leur audace criminelle? La preuve n'a donc pas, pour établir le bien-fondé de votre croyance, la force que vous croyez pouvoir lui attribuer. Toutefois, comme d'autres philosophes en usent aussi, je ne m'y arrêterai pas pour le moment. J'aime mieux en venir aux théories qui vous appartiennent en propre. J'accorde donc qu'il y a des dieux, apprends-moi maintenant d'où ils viennent, quel lieu ils habitent, quels ils sont de corps et d'esprit, quelle est leur vie. C'est tout cela que je voudrais savoir.

CICERON, De la nature des dieux (-45).


Cicéron soutient donc qu’il faut vivre comme s’ils y avaient des dieux, bien que le contenu de leur divinité est probablement le fruit d’une imagination humaine qui aime s’admirer elle-même (et c’est très drôle, car il imagine que même les dauphins pourraient s’imaginer avoir des dieux dauphins encore plus charmants que les dauphins réels) : 

Les poètes, les peintres, les sculpteurs ont contribué à répandre ces croyances, car il n'était pas facile de représenter sous une forme autre que l'humaine des dieux agissants, s'appliquant à quelque entreprise. À cela s'est ajoutée cette opinion que rien ne paraît à l'homme plus beau que l'homme même. Mais toi, qui te dis physicien, ne vois-tu pas quelle maîtresse d'illusions flatteuses est la nature, quelle adresse elle met à nous tromper sur la valeur des satisfactions qu'elle nous procure? Penses-tu qu'il y ait sur la terre ou dans la mer un animal quelconque auquel un animal de la même espèce ne paraisse pas ce qu'il y a de plus charmant ? S'il n'en était pas ainsi, pourquoi un taureau n'éprouverait-il pas du désir pour une jument, un cheval pour une génisse? Te figures-tu qu'un aigle, un lion, un dauphin puisse préférer une autre forme à la sienne propre? Quoi d'étonnant dès lors si, conformément à une loi naturelle, l'homme juge que c'est l'homme ce qu'il y a de plus beau et que, pour cette raison, il imagine des dieux semblables à lui-même?


A défaut d’une démonstration donc, on peut expliquer l’origine de l’idée de Dieu. Cette origine peut jouer le rôle de preuve dans la mesure où il serait absurde que l’homme soit pourvu d’idées qui ne servent à rien. Il n’était pas imaginable qu’une idée pareille soit partagée par tous et qu’elle pût sembler fausse. L’argument donc est que l’idée de Dieu est une idée naturelle, qui indique un ordre naturel et bon, produit donc par un être lui-même ordonné et bon.


RETOUR A SPINOZA : Spinoza montre comment les idées peuvent s’organiser à partir d’une erreur fondamentale. Autrement dit, il se peut que l’idée de Dieu n’indique pas l’existence d’un ordre juste du monde où l’homme pourrait naturellement connaître le créateur de cet ordre juste. IL SE PEUT QUE LES HOMMES IMAGINENT DIEU (sous une certaine forme) PARCE QU’ILS SE TROMPENT TOUS DE LA MÊME FAçon. Cette vision fausse du monde est le FINALISME, c’est-à-dire croire que le monde est organisé EN VUE DE/AFIN D’assurer notre survie. 

ERREUR FONDAMENTALE : les hommes sont ignorants.

CONSEQUENCE 1 : D’abord les hommes sont trompés par leur conscience : ils ne saisissent que leurs appétits mais pas ce qui les cause. Et ils se croient libres. Première illusion : illusion du libre arbitre.

CONSEQUENCE 2 : en ignorant les causes, on ne perçoit que le buts de nos actions (nos appétits). On croit n’agir qu’en cherchant ce qui est nous est profitable ou bon (or c’est parce qu’on le désire qu’on le juge bon). Deuxième illusion : illusion de la morale.

CONSEQUENCE 3 : comme on est ignorants, on ne fait pas l’effort de découvrir en autrui, et encore moins en soi, des causes qui expliqueraient son comportement. Et on interprète un certain nombre de faits comme des preuves irréfutables de finalité. notre finalisme nous semble efficace et on en déduit l’existence d’un grand ordonnateur du monde. Troisième illusion : illusion d’un ordre finalisé dans le monde.

CONSEQUENCE 4 : ils n’arrivent pas à s’imaginer qu’un autre fonctionnement que celui qu’ils connaissent soit possible. Il imagine donc ce grand ordonnateur d’après leur nature propre : libre, et agissant en vue d’une fin. ILS SONT ANTHROPOCENTRES : ils jugent des choses non-humaines d’après leur nature humaine propre. Donc Dieu n’est qu’un homme plus grand, qui lui aussi aurait un but simple : être vénéré. Quatrième illusion : illusion de l’existence d’un dieu anthropomorphe.

Problème : ce raisonnement est spontané mais faux. Et on le remarque au fait que les hommes butent très rapidement sur des erreurs. Ils constatent que les hommes pieux ne sont pas tous récompensés, et qu’il existe un MAL qui ne semble pas justifié. Face à cette erreur, ils choisissent l’AUTO-AVEUGLEMENT, c’est-à-dire LE MYSTERE (= l’interdit de savoir). « LES VOIES DU SEIGNEUR SON IMPENETRABLES ». Elles ne sont pas une énigme qu’on pourrait percer et qu’il faut essayer de percer (comme le scientifique le pense), elles sont interdites à la connaissance.

Spinoza a d’autant plus raison qu’on préfère du coup interpréter les malheurs comme des signes d’une épreuve, alors qu’ils devraient être des réfutations.

Un scientifique comme Richard Dawkins ne peut que réagir négativement au moment où on lui demande de ne pas chercher la cause de l’apparition d’un ordre sur la Terre autrement que par l’hypothèse d’un Grand Ordonnateur… Entre le hasard ou le miracle, il existe une troisième voie, une explication qui s’appelle la théorie de l’évolution (cf le texte pour mieux saisir l’explication mécaniste de Darwin et qu’on pourrait supposer adéquate à celle qu’aurait pu imaginer Spinoza). 

Quand on voit un papillon sphinx (avec une longue trompe de butiner une orchidée comète (fleur profonde dont le nectar n’est accessible qu’au papillon sphinx), on peut croire que c’est un miracle qu’il y ait une pareille osmose entre les deux espèces, mais en réalité, cette osmose est explicable par une lente progression et un passage par beaucoup d’étapes intermédiaires utiles. L’adaptation et la sélection naturelle n’est jamais une question de tout ou rien. Certes.

Mais la science réfute-t-elle la religion ? En fait non. Car il n’y a pas (ou rarement) de discussion sur les faits. Les autorités catholiques n’ont pas écarté Darwin. Ils ne refusent pas les observations que font les scientifiques. Ils refusent leur interprétation. Or c’est là que le bât blesse : l’observation, même la plus fine, la plus impartiale, ne semble pas suffire… L’objectivité scientifique et le refus de croire à quelque chose qui n’est pas démontré n’est pas suffisant. Ce qui voudrait dire qu’il y a une perméabilité de la science à la croyance. Ce qui voudrait dire aussi que l’observation scientifique ne suffit pas. Il y a quelque chose de plus que cette simple observation. 


4. Limites de l’induction.

Contrairement à la déduction, qui est le fait de conclure nécessairement à une vérité par un argument valide, le raisonnement inductif s’appuie sur l’expérience. Un philosophe et scientifique comme Francis Bacon (16ème siècle) a pu insister sur la méthode inductive, inductiviste ou inductionniste, car en partant de l’observation, on éviterait ainsi de tomber dans les pièges grossiers de la superstition ou de la spéculation oiseuse.

"La vanité de l’esprit humain l’écarte et le retarde dans sa marche. Il craint de s’avilir (1) dans les détails. Méditer sur un brin d’herbe, raisonner sur une mouche : manier le scalpel, disséquer des atomes, courir les champs pour trouver un caillou, quelle gloire y a-t-il, dans ces occupations mécaniques ; mais surtout quel profit, au prix de la peine ? Cette erreur prend sa source dans une autre qui part du même orgueil, et c’est la persuasion, où l’on s’entretient, que la vérité est comme innée dans notre entendement, qu ’elle ne peut y entrer par les sens, qui servent plutôt à le troubler qu’à l’éclairer." 

BACON (1561-1626), Pensées et vues générale ou récapitulation.

La science propose d’ailleurs très rarement des arguments de type purement logique (en tout cas quand il s’agit de science empirique). Les mathématiques jouent un rôle important dans le caractère objectif des résultats. Mais la vérité scientifique consiste aussi à décrire le réel, à produire une théorie qui corresponde à la réalité. Les sciences empiriques (biologie, physique, chimie… économie ?) sont donc très souvent obligées d’utiliser des raisonnements de type inductif.

Une induction consiste en un raisonnement probabilitaire, c'est-à-dire dont la conclusion n'est pas nécessaire – contrairement à la déduction. Une forme courante de l'induction est de généraliser un ensemble d'observations pour produire une théorie.

Voilà ce qu'il faut faire pour faire une bonne induction : j’ai observé une relation objective (sans préjugé) entre A et B. J’ai vu se répéter cette observation de nombreuses fois (j’ai vu la corrélation A’ - B’ ; A’’ - B’’, etc.). Je n’ai constaté aucune exception. Je peux alors faire une théorie/généralisation. Et je teste cette théorie pour la valider. Je vois plusieurs cygnes blancs, je vérifie qu’ils sont blancs qu’il neige ou qu’il vente, je propose de dire que tous les cygnes sont blancs, je vais dans un autre parc, et je vois des cygnes blancs et je saute de joie parce que j’ai l’impression d’être un vrai scientifique.

Cette façon naïve de faire la science a été moquée par Bertrand Russell sous la fable de la dinde inductiviste. 

La dinde respecte les règles de l’induction : elle est nourrie tous les matins à 9h, qu’il vente, qu’il pleuve, en hiver comme en été. Jamais elle n’a pas été nourrie. Elle conclut le 24 décembre qu’elle va être nourrie tous les jours de toute sa vie, et le lendemain on la sert au repas de Noël. 

Quelle leçon tirer de cette épisode tragique ?

Première leçon un peu trop simple : aucune induction ne peut produire de vérité universelle. Avec des expérience singulières on ne peut s’élever qu’au général, mais pas à l’universel. 

Leçon plus importante : l’espoir d’une induction réussie suppose un pari métaphysique que les scientifiques ne sont plus prêts à faire. En effet, si je peux dire avec certitude que « le soleil se lèvera demain », c’est parce que cette certitude me semble aussi forte que 2+2 = 4, c’est-à-dire que Descartes aurait pu me permettre de croire que les vérités de fait sont susceptibles d’autant de certitude que les relations d’idées. Mais Hume nie que ce soit le cas. Si le soleil était une sphère, et si l’orbite était une ellipse, on pourrait dire que le problème du lever du soleil se réduirait à un problème de géométrie. Mais cette mathématisation du réel n’est pas donnée, elle n’est pas évidente. Elle est le résultat et la modélisation du scientifique, mais elle n’est ne peut pas être postulée. Rien ne m’indique que le monde aurait été « écrit en langue mathématique » comme le dit Galilée. Par conséquent, l’écart entre vérité de faits et relation d’idées est définitif. On ne pourra jamais garantir que le réel se réduise à ce qu’on conçoit comme ses qualités mathématiques. Le réel est toujours plus riche, et le soleil n’est pas une simple sphère et l’ellipse n’est pas parfaite non plus.

Leçon encore plus importante : l’induction est supposée être confirmée par une prédiction. Mais cette confirmation elle-même est une induction. Or toute induction suppose que le futur ressemble au passé. Nous observons des CONJONCTIONS CONSTANTES de type A puis B, A’ puis B’, A’’ puis B’’. Mais la théorie « A puis B à chaque fois » aurait beau être confirmée une fois, il n’en resterait pas moins qu’il ne s’agirait que d’un cas singulier. Jamais il ne pourra y avoir de confirmation définitive tant qu’on ne peut pas soutenir de façon non moins définitive que LE FUTURE RESSEMBLERA AU PASSE. Or, toute l’expérience du monde ne saurait produire une certitude en ce qui concerne le futur, c’est-à-dire ce qui est justement au-delà de l’expérience, car au-delà du passé ou du présent. Il faut être Descartes pour vouloir démontrer que Dieu garantit la permanence des lois de la nature. Mais Hume n’est pas Descartes. Il refuse ce genre de démonstrations, certes rationnelles, mais qui n’est le fruit d’aucune expérience.

Comment pouvons faire cette conjecture concernant le futur qui ressemblerait au passé ? Pourquoi nous ne pouvons pas nous empêcher de croire que le soleil se lèvera demain ?  Tout simplement parce que nous en avons eu l’habitude. Ce n’est pas la réalité qui nous force à croire au soleil qui se lève, c’est notre nature humaine qui ne peut pas s’empêcher d’ordonner l’expérience en produisant en nous des habitudes, une COUTUME, et par conséquent une CROYANCE. 

L’idée même de Hume est qu’un scientifique sera bien obligé de croire. Mais il croira plus précisément en des corrélations précises. Au lieu de croire que les rats tuent, il comprendra que les rats sont porteurs d’un germe qui sèment la peste. 

Mais la thèse qui peut être remise en cause de façon plus profonde est celle-ci : la science commence-t-elle avec l’observation ? 

Trois difficultés par exemple : 

1. on ne peut pas faire toutes les expériences, certaines expérience sont non-éthiques. On ne peut pas refaire exploser des bombes atomiques pour voir si ça fonctionne.

2. Nos énoncés d’observations contiennent parfois déjà des théories, si bien qu’ils seraient en fait incompréhensibles pour les hommes d’une certaine époque qui ne connaissent pas ces théories. Par exemple, lorsque j’allume le « gaz », ou que je « coupe l’électricité ». Ces concepts ne sont pas observables. Ou si je dis que la pomme tombe, c’est une observation objective, mais si je dis que la pomme est attirée par le champ gravitationnel de la Terre, on ne comprend cette énoncée que parce qu’il y a une théorie entière derrière.

3. Pour percevoir les phénomènes eux-mêmes, il nous faut des théories. Pour lire une observation dans un microscope, pour interpréter le résultat d’un voltmètre… ou pour  lire une radio, où il faut à tout prix avoir des notions d’anatomies et de radiographie pour comprendre ce qui brille et à quoi ça correspond. D’où la conclusion suivante : le réel ne se donne pas (c’était déjà ce que Bachelard notait comme différence avec l’opinion). L’observation n’est pas naturelle. Elle est construite par des théories. 

La théorie précède l’observation.



II. LA CROYANCE GUIDEE PAR LA SCIENCE.


1. Toute connaissance commence avec l’expérience. Mais ne découle pas de l’expérience.

Kant s’appuie sur une histoire de la science : 

D’abord la science affirme son autonomie à l’égard de l’expérience. La géométrie ne s’effectue pas d’après des figures. On dessine au tableau des cercles et des droites mais ces figures ne sont que des aides pour l’imagination. La géométrie ne parle pas de ces figures. Elle prend appui sur des « schèmes » (dira Kant) de l’espace et du temps. En bref, les vérités géométriques, comme le disait Hume ou Leibniz avant lui, sont « a priori », c’est-à-dire avant toute expérience. Le modèle de cette science c’est Euclide : il donne définitions, axiomes et postulats et en déduit 48 propositions. On a pu croire que la géométrie gouvernait aussi les lois de la nature, lorsque Descartes montre que plusieurs lois de l’optiques sont formalisables sous la forme de rapport géométrique.

Mais à la différence de Descartes qui pense saisir la nature mathématique du monde, Kant (à cause de Hume) ne croit pas qu’on puisse réduire ainsi les phénomènes à leurs seules qualités géométriques (ce que Descartes appelle des qualité premières, en opposition aux qualités secondes, qui sont les représentations subjectives qu’on se fait des objets). 

Je ne vois pas la chaise en soi, je ne perçois que ma représentation de la chaise. le phénomène n’est donc pas observé en soi. Il est CONSTRUIT. La chaise est d’une part une intuition sensible, et d’autre part une forme que j’arrive à saisir. Ainsi tout phénomène est en réalité déjà deux choses : une « matière » sensible (c’est-à-dire des perceptions) qui est reçu passivement par l’esprit, et une « forme » appliquée par l’esprit qui permet d’organiser activement cette matière. La perception consiste donc moins à se laisser imprégner passivement par ce que nous voyons que de retrouver des formes qu’on connaît, à reconnaître ces formes dans notre représentation des choses. La science fait de même.

« la raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans et qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu'elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d'avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. »

L’expérience est déjà produite dans l’esprit du scientifique. Comment fait-il puisqu’il n’a pourtant rien observé ? Justement, le scientifique imagine du POSSIBLE, un possible qui n’est pas encore confirmé par l’expérience MAIS QUI PRECEDE L’EXPERIENCE, qui est concevable à partir des formes que tout esprit possède a priori, ou de façon innée. L’idée de cause, de substance, de qualité, de quantité etc. tout cela permet de produire une expérience de pensée comme celles de Galilée ou d’Einstein. Galilée est notamment connu pour avoir formalisé des dispositifs expérimentaux sans les avoir tous réalisés. Par exemple, il imagine ce qui se passerait lors d’une chute de deux objets dans le vide.

Kant dépasse l’opposition entre vérité de fait et relation d’idée de Hume. Chez Hume, soit la connaissance est certaine… mais elle est déductive, logique et ne dit rien du monde. Soit elle est empirique, a posteriori… mais elle ne peut pas produire de règles (elle n’est qu’une généralisation) mais c’est la seule qui apporte des connaissances nouvelles. Kant suppose donc qu’il existe un pouvoir propre à l’esprit indépendant de l’expérience : le TRANSCENDANTAL, c’est-à-dire l’ensemble de ce qui est condition de possibilité de toute expérience mais n’est pas donné par l’expérience. Le transcendantal est comme le cadre de toute expérience possible. Mais on a besoin de réaliser des expériences pour tracer une frontière entre ce qui est réel et ce qui est seulement posible. 

Toute connaissance commence donc avec l’expérience mais ne découle pas toute entière de l’expérience. L’observation seule ne suffit pas. Commencer = apparaître en premier chronologiquement. Dériver : être fondé sur… Or la connaissance est composée d’intuitions/impressions sensibles ET notre propre pouvoir de connaître : des concepts. « Sans concept, les intuitions sont aveugles, sans intuition les concepts sont vides ». 

Mais alors la connaissance n’est-elle que subjective ? NON ! C’est une activité qui relève entièrement de l’esprit humain. Mais elle n’est pas entièrement subjective, puisque ces catégories sont celles QUI PRODUISENT toute expérience humaine POSSIBLE. Nous voyons certes le réel avec des lunettes, mais ce sont toujours les mêmes lunettes… L’objectivité consiste donc dans le fait que tous les esprits raisonnables peuvent se mettre d’accord entre eux.

Mais si l’esprit peut établir des connexions nécessaires entre des faits, ce n’est donc qu’a priori, l’expérience ne sert alors qu’à confirmer ou infirmer ce raisonnement. Mais peut-elle seulement confirmer définitivement un raisonnement… ?


3. La méthode hypothético-déductive.

Un exemple : à Vienne, Semmelweis s’inquiète de voir les femmes de son service mourir à l’accouchement, avec un taux anormalement élevé. Elles meurent de fièvre purpérale. En 1846 : 11,4% (alors que dans les autres services d’accouchements le taux était de 2,4%). Il expérimente (ce n’est pas éthique). Il teste des hypothèses : est-ce la position des femmes au moment de l’accouchement…? Est-ce leur peur en entendant la clochette du prêtre qui annonçait une possible mort imminente…?

Semmelweis fait un raisonnement déductivement juste : si H => I (où H est l’hypothèse testée et I l’implication attendue, en l’occurence ici le fait d’observer un taux de mortalité plus haut), et si I ne survient pas, alors on peut en conclure que H est faux. 

Donc : 


Si H=>I

Et que non-I

—————

Alors non-H


    C'est une règle d'inférence qu'on appelle "modus tollens" qui permet d'éliminer des hypothèse. Ainsi Semmelweis élimine les hypothèses jusqu’à découvrir qu’en fait ce sont les médecins qui passaient de la morgue où ils pratiquaient une autopsie à la salle d’accouchement en se lavant à peine les mains. Par conséquent, il en a déduit que ce sont les « matières cadavérales » qui produisent la contamination des femmes en train d’accoucher. 

L’expérience qui est menée n’est rien sans une théorie préalable à tester dans le réel.

La différence entre une expérience scientifique et une expérience purement subjective : on ajoute une hypothèse. Ainsi le simple fait de vivre n’offre pas beaucoup plus de connaissance. « Avoir de l’expérience » trahit l’idée naïve que voir beaucoup de choses est important. NON… Voir une bille glissée sur un toboggan n’a jamais fait naître automatiquement l’idée d’un mouvement composé d’un mouvement vertical et horizontal, comme Galilée. Voir un rayon de lumière n'a jamais inspiré à personne – à part à Einstein – qu'en le chevauchant nous verrions le temps s'accélérer. 

On serait incapable de choisir les bonnes observations à faire, si on allait à l’aventure. C’est d’ailleurs la véritable différence entre celui qui a de l’expérience et celui qui n’en a pas. « aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années » dit Don Rodrigue dans Le cid. 

    L’expérience acquise est proportionnelle aux hypothèses qu’on lui fait tester. Mais l’expérience n’est pas une accumulation d’observations, c’est une accumulation d’épreuves.

D’où la formule de Claude Bernard : « l’observation montre, l’expérience instruit. » L’observation pure serait aveugle, l’expérience scientifique ici est guidé au contraire par la raison.  

La science expérimentale se déroule en plusieurs phases : 1) observation 2) hypothèse 3) dispositif pour la tester (sur la forme du modus tollens le plus souvent) 4) réfutation ou confirmation qui relance le processus.

Exemple du lapin. Mais si on revient sur l’exemple de Semmelweis, la production de l’hypothèse reste mystérieuse. Kepler s’intéressait à la mystique des nombre et la musique des sphères. Kékulé a trouvé la structure de la molécule de benzène en tétravalence en rêvant au coin du feu et en voyant une flamme faire comme un cercle sur elle-même. 

Il y a un moment artistique, d’inspiration, pour pouvoir proposer une théorie, qui est finalement la preuve que l’esprit humain n’est pas bornée (et donc incapable d’imaginer les connaissances possibles), mais limitée (parce qu’on est supposé n’imaginer possible que ce qui est actuellement réel - le réel est un cas particulier du possible). Problème : peut-on de toute façon confirmer une hypothèse à partir d’une observation ? En réalité, que l’on soit kantien ou non, l’expérience ne confirme rien.

La vérité des prémisses du raisonnement expérimentale peuvent toujours s’avérer fausses. 


4. L’expérience permet d’éliminer les fausses hypothèses.

en effet, l’expérience particulière ne peut en toute logique pas confirmer une hypothèse, mais en revanche, il suffit d’une exception pour infirmer une proposition générale.

A – ARGUMENT LOGIQUE.

Karl Popper pense qu’il existe encore une vérité, très tangible, et irréfutable. Mais cette vérité n’est pas positive, elle est négative : à défaut de pouvoir dire avec certitude ce qui est vrai, on peut dire ce qui est faux. 

Il exploite une propriété logique toute simple : si un grand nombre d’observations ne peut confirmer un énoncé théorique, une seule observation peut en revanche, l’infirmer. La seule chose qu’on puisse déduire d’un énoncé d’observation (forcément singulier) c’est la réfutation de l’énoncé théorique universel qui serait contredit. 

Popper s’est inspiré d’Einstein qui a écrit "Si le décalage vers le rouge des lignes spectrales dû au potentiel de gravitation devait ne pas exister, la théorie générale de la relativité sera insoutenable" (Einstein Albert, 1917, cité et traduit par Popper, La quête inachevée, p.49). En 1919 il se déroule une éclipse au cours de laquelle Einstein prédit grâce à sa théorie que le trajet des rayons lumineux d’étoile lointaine proche du disque solaire seront déviés par la présence du soleil. L’éclipse masquant le soleil rend possible l’observation de ce groupe d’étoiles en plein jour.  On connaissait leur position, et on a pu observer une légère déviation. En fait, des nuages ont falsifié les résultats, mais ont rendu accidentellement vraie les résultats.

Au fond, ce que cherche Popper c’est une expérience cruciale : une expérience ultime au cours de laquelle on peut une fois pour toutes dire qu’une hypothèse n’est pas fausse jusqu’à un certain point.

Un exemple c’est l’ultime et treizième injonction que Pasteur fait au jeune garçon qui a la rage où Pasteur inocule… la rage ! de façon à savoir parfaitement si son vaccin fonctionne. 


B – UNE VERITE CRITIQUE.

Le falsificationnisme voit donc dans les théories scientifiques un ensemble d’hypothèse. Il y a donc un scepticisme a priori, puisque rien de positif ne peut être dit de vrai.

Mais toutes ne sont pas à retenir. Et c’est là le moment où la vérité entre dans la science. Car certaines hypothèse ne sont pas falsifiables = est falsifiable une théorie qui envisage des énoncés d’observations contradictoires. = qui donne les conditions de possibilités de sa propre réfutation. = une théorie qui énonce les énoncés qui la rendraient fausse s’ils étaient vrais.

-Ex : 

1) un homme peut être doux ou ne pas être doux s’il est né sous le signe du cancer.

2) tous les points d’un cercle euclidien sont équidistants au centre.

3) On peut avoir de la chance dans les paris sportifs. 

Popper cherche à distinguer ce qui est un savoir et ce qui relève de la science. A l’époque, il attaque notamment Freud et Marx. Il critique par exemple une théorie d’Adler, le complexe de supériorité comme ça : si un homme passe à côté d’un enfant en train de se noyer, le fait que l’homme ait un complexe de supériorité pourra justifier deux comportements contraires. Il sauvera l’enfant parce qu’il veut montrer qu’il est le plus fort. Il ne sauvera pas l’enfant, persuadé qu’il est d’être déjà le plus fort… Plus tard, il épargnera Freud de sa critique, mais pas Marx. 

Popper propose une démarche globale pour vérifier les hypothèses : La vérification de la scientificité d'une démarche se prétendant scientifique comporte quatre étapes :


1 - L'évaluation de la cohérence du système théorique

2 - La mise en évidence de la forme logique de la théorie

3 - La comparaison à d'autres théories

4 - Les tests empiriques.

Mais la difficulté est de bien saisir en quoi une observation concerne toute la théorie. On peut toujours dire que ce qui semble nous réfuter est en réalité une imprécision. Donc il faut poursuivre encore et encore les investigations pour passer au tamis toute la théorie. 

Attention, une modification ad hoc (ou une rustine théorique), n’est pas recevable si elle n’est pas elle-même testable : ex de Galilée, qui observe que la Lune a des cratères, ce qui contrevient avec la théorie aristotélicienne d’astres parfaitement lisses. L’adversaire fait les mêmes observations mais répond qu’il doit y avoir une substance invisible qui remplit ces cratères de façon à ce que la surface de la Lune reste lisse. Ce à quoi Galilée répond qu’il est tout aussi invérifiable que de dire qu’il existe bien une substance invisible mais qui s’organise en forme de cratères !


C – PROGRES VERS LA VERITE

Plus la théorie est falsifiable, meilleure elle est. Donc il y a bien un critère qui permet de dire qu’on se rapproche de bonne théorie ou non. Plus elle est soumise à des tests, plus elle est solide. On n’obtient de la vérité que son négatif, mais on peut s’en rapprocher. ATTENTION : ici, vérité énoncé positif, universel et définitivement irréfutable. 

Tout l’enjeu est de dire que la vérité suppose de prendre un risque : celui de se tromper. Mais le vrai progrès n’est pas dans le ressassement d’énoncé ou de théories qui paraissent certaines, mais au contraire, ce qu’on acquiert à coup sûr c’est la précision, par élimination progressive de fausses théories. AUDACE La science semble donc fonctionner, et se distinguer des autres savoirs par son audace, et son incorporation du doute en son sein même. 

Mais le falsicationnisme a aussi une autre vertu : elle est honnête. Elle ne promet pas une vérité absolue, et n’hésite pas à trancher vivement les débats. Elle est aussi PRECISE.

C’est le sens même de la méthode hypothético-déductive : 1) proposer une hypothèse 2) créer un dispositif 3) en noter le résultat. Mais le point le plus important est bien celui de la création d’hypothèses. Cette étape est presque artistique, car nous n’avons qu’une intuition, mais à proprement parler aucun résultat. Le falsificationnisme est la théorie qui motive le plus l’audace inhérente à la science. Car ce n’est qu’en testant encore et encore des théories nouvelles qu’on peut dessiner en négatif une carte du vrai. 

A l’inverse de l’inductionniste, qui ne cherche qu’à confirmer encore et encore, répéter.


PRBM : La théorie de Popper n’est-elle pas trop exigeante ?

Ex de Galilée : il observe la Lune et voit des cratères, et ses adversaires lui disent que ce sont des poussières sur la lunette. Pourquoi Galilée n’abandonne-t-il pas sa théorie tout de suite ?

1) l’observation n’est pas sûre de toute façon. Il n’y a pas d’expérience cruciale en science. Prbm des fentes de Young et Fresnel. Initiée en 1801 pour montrer que la lumière est une onde. L’interaction des champs de lumières montre qu’il en résulte bien une figure d’interférence à la sortie des deux fentes. Mais si on recommence l’expérience avec un « canon à photon », donc photon par photon, on constate la même figure, alors qu’elle n’est pas possible si la lumière est bien corpusculaire. Donc même corpusculaire, le photon « réagit avec lui-même »… Ainsi, une même expérience ne peut démontrer de façon certaine une théorie. De la même façon, un cylindre éclairé sous deux angles différents créé deux ombres différentes : carré ou ronde. 

Cf Pierre Duhem : « En résumé, le physicien ne peut jamais soumettre au contrôle de l'expérience une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble d'hypothèses; lorsque l'expérience est en désaccord avec ses prévisions, elle lui apprend que l'une au moins des hypothèses qui constituent cet ensemble est inacceptable et doit être modifiée; mais elle ne lui désigne pas celle qui doit être changée. » C’est ce qu’on appelle le HOLISME EPISTEMOLOGIQUE (on ne peut confirmer aucune hypothèse auxiliaire séparément - ce que ne croit pas Popper…).

Tout énoncé d’observation demanderait de toute façon d’accepter beaucoup de théories au préalables. Le problème vient de ce qu’en science, un énoncé d’observation n’est jamais unique, il fait appel à des théories, ne serait-ce que pour se servir des instruments de mesures. Autrement dit, on ne sait pas sur quoi faire porter la falsifiabilité : sur une hypothèse centrale, ou sur une hypothèse auxiliaire (en rapport avec les conditions d’observations par exemple)

2) Popper ne s’appuie pas sur l’histoire des sciences… sa démarche consiste à distinguer idéalement la science des non-sciences. Mais dans l’histoire les choses sont plus complexes. Il n’admet pas qu’il aurait pu réfuter une fois pour toute Galilée. Il écrit donc (chapitre V de Conjectures et Réfutations) que lorsqu’on ne peut pointer des erreurs, il faut accepter la théorie comme telle, bien que tout énoncé n’est jamais infaillible. Il y a donc une ambiguïté : on peut suspendre la falsifiabilité… pourquoi ?

Autre ex : L’obite d’Uranus présente des irrégularités par rapport aux prévisions de Newton… Le Verrier prévoit l’existence d’une planète mais elle n’est pas observable. Faute à la théorie, ou faute aux moyens d’observations ? Observé le 23 septembre 1846 par Johann galle, au même moment où il reçoit la lettre de Le Verrier.…anecdote, François Arago, son maître, dit de lui, qu’il « a vu Neptune au bout de sa plume »… Mais la suite est tout aussi intéressante, puisqu’il a reçu la médaille copley de la royal society pour « un des plus grands triomphes de l’analyse moderne appliquée à la gravitation ».

Autre exemple : la théorie cinétique des gaz de Maxwell était falsifiée par des mesures sur la température des gaz. Pour autant ce dernier prôna une sorte d’ignorance consciente, pour mener sa théorie à son terme, quitte à ne pouvoir expliquer ces aberrations qu’à la fin. 

Ne faut-il donc pas croire d’abord à une théorie, coûte que coûte, plutôt que de l’abandonner dès la première erreur ? Jusqu’où peut-on alors défendre une théorie ?

mais ça veut dire qu’on prend sans preuve une théorie pour vraie. La science ne repose-t-elle par sur des croyances ?



III. LIMITES NECESSAIRES DE LA VERIFIABILITE DES THEORIES SCIENTIFIQUES.


1. paradigme scientifique.

RESUME : Les théories scientifiques ne sont ni des inductions à partir d’observations simples. L’accès à des phénomènes suppose une interprétation. Comme on n’a pas accès à un donné sensitif pur (Cf texte de l’impetuus), il faut définir des objets, et donc de toute façon, faire appel à une théorie préexistante. Cette ensemble cohérent de définitions des objets physiques, propre à une époque, est ce qu’on appelle structure. Ni de pures créations logiques. Car elles doivent correspondre à une réalité.

Ce qu’en déduit Kuhn c’est que la science n’avance pas par accumulation de résolutions de problèmes. 

Pourquoi ? Parce que pour résoudre un problème il faut changer de langage. On n’a donc aucun moyen d’accumuler des résolutions de problèmes, car les problèmes disparaissent ou se reformulent en fonction des nouveaux paradigmes. 

Le problème du chaos était par exemple inexistant dans un paradigme aristotélicien. Il apparaît avec angoisse dans un paradigme disons, plus généralement, mécaniste, ou newtonien, puis encore plus vivement dans un paradigme quantique.

non seulement il faut des interprétations de la réalité communes, mais aussi des concepts communs… La science est comme un langage, sans quoi chaque innovation serait isolé du reste. 

Ce qui signifie que pour qu’on résolve des problèmes, pour enseigner, ou pour qu’on invente une théorie nouvelle, il faut des définitions préalables. Pour parler, ou même inventer des mots, on doit pouvoir faire référence à ceux déjà existants pour les définir. Donc rien d’absolument neuf n’émerge sans appartenir d’abord à une théorie ancienne. Copernic pense avec des concepts aristotéliciens. Galilée aussi etc.

Ainsi, la science est avant tout un « paradigme ». Les paradigmes ne sont rien d’autre que « les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions. »

Lakatos (disciple de Kuhn) distingue alors deux aspects dans une structure : 1) une heuristique (recherche de la vérité) négative 2) une heuristique positive. La négative ne doit pas être modifiée, par pure convention, elle ce qui permet la recherche elle-même. L’heuristique positive est le programme de recherche au sens propre, c’est-à-dire la confirmation ou l’infirmation d’énoncés scientifiques.

Ce qu’on appelle expérience n’est accessible qu’à travers ce paradigme. Aujourd’hui, les expériences dans le LHC (Large hadron collider) ne sont compréhensibles que si on connaît les hypothèses qu’on veut vérifier. L’expérience scientifique est définitoire de la réalité : si on pense que la réalité est une interaction de quatre grandes forces, on fera les expériences pour le montrer. Problème : on ne trouve que ce qu’on cherche !

Dès lors, le progrès en effet ne s’explique que par sauts, par révolutions. Est-il encore possible ?

Kuhn dessine une périodisation de la révolution scientifique. 

1) Pré-science = constitution d’un paradigme. Encore un désaccord sur le noyau dur.

2) Science normale = exercice au sein de ce paradigme. Consensus sur le noyau dur des hypothèses, et absence de doute.

3) crise = difficultés à surmonter les problèmes rencontrés.

4) Révolution = obligation de changer de paradigme

5) nouveau paradigme = consensus retrouvé autour d’un nouveau paradigme

Mais il est impossible de savoir s’il y a bien un progrès dans la recherche de la vérité ou non. On passe d’habitudes et de croyances scientifiques à d’autres. Car il n’existe aucun critère logique pour préférer un paradigme à un autre. Préférer Einstein à Newton. 

Car un changement de paradigme n’appelle pas de conservation, mais seulement une retraduction, donc aucune comparaison n’est possible. Il s’agit au fond d’une sorte de « conversion religieuse ». Ainsi, il écrit qu’« il n’y a pas d’autorité supérieure à l’assentiment du groupe concerné » (Structures des Révolutions scientifiques)

Est-ce à dire que la science n’est qu’une affaire de pouvoir (donc de croyance plutôt que de vérité) ? Lorsqu’on dit que la science détermine « ce qu’il est rationnel de croire pour une période donnée » (monsieur phi), on ne parle plus vraiment de science, mais de politique…


2. Réalisme, instrumentalisme et construction sociale.

Les mathématiciens sont volontiers instrumentalistes (Poincaré) et les biologistes réalistes. Pourtant dans les deux cas ils ont des théories qu’ils essaient de confirmer, puisqu’ils visent des énoncés vraies dans tous les mondes possibles. 

L’instrumentalisme consiste à dire que la science n’est qu’une fiction utile (mais très utile puisqu’elle permet de décrire correctement des phénomènes et les prédire). Le réaliste pense que la science est nécessairement engagée ontologiquement (elle parle de l’être même des choses) et qu’elle décrit le réel. Popper est plutôt réaliste. Kuhn est plutôt instrumentaliste. Galilée est réaliste. Copernic est instrumentaliste.


« Il [Sarsi] estime que la philosophie est le livre d’un homme, comme l’Illiade ou l’Orlando Furioso, dans lequel la chose la moins importante est de savoir si ce qui est écrit est vrai. […] La philosophie est écrite dans cet immense livre continuellement ouvert sous nos yeux, c’est-à-dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si d’abord on apprend à connaître la langue en laquelle il est écrit. […] Il est écrit en langue mathématique et les caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques sans le moyen desquels il est impossible humainement d’y rien comprendre. »

GALILEE, L’Essayeur, Opere, Ed. Nazionale, VI, p. 232


« Je ne doute pas que certains savants – puisque déjà s’est répandu le bruit, concernant la nouveauté des hypothèses de cette œuvre, qui pose la terre comme mobile et le soleil par contre comme immobile au centre de l’univers – ne soient fortement indignés et ne pensent qu’on ne doit pas bouleverser les disciplines libérales, bien établies depuis longtemps déjà. Si, cependant, ils voulaient bien examiner cette chose de près, ils trouveraient que l’auteur de cet ouvrage n’a rien entrepris qui mériterait le blâme. En effet c’est le propre de l’astronome de colliger, par une observation diligente et habile, l’histoire des mouvements célestes. Puis d’en chercher les causes, ou bien – puisque d’aucune manière il ne peut en assigner de vraies – d’imaginer et d’inventer  des hypothèses quelconques, à l’aide desquelles ces mouvements (aussi bien dans l’avenir que dans le passé) pourraient être exactement calculés conformément aux principes de la géométrie. Or, ces deux tâches, l’auteur les a remplies de façon excellente. Car, en effet, il n’est pas nécessaire que ces hypothèses soient vraies, ni même vraisemblables ; une seule chose suffit : qu’elles offrent des calculs conformes à l’observation […] Laissons donc ces nouvelles hypothèses se faire connaître parmi les anciennes, nullement plus vraisemblables. […] Et que personne en ce qui concerne les hypothèses n’attende de l’astronomie rien de certain. »

Lettre-préface de A. Osiander, « Au lecteur sur les hypothèses de cette œuvre » in Nicolas Copernic, Des révolutions des orbes célestes, 1543.


Ian Hacking note que beaucoup de scientifiques se disputent pour savoir ce qui est réel et ce qui est « construit ». 

1. Contingence. Certains affirment que les théories scientifiques pourraient ne pas être telles qu’elles sont aujourd’hui, voire qu’elles auraient pu être ignorées. Andrew Pickering a montré par exemple que le développement des études concernant le nucléaire est dû aux intérêts militaires et politique qui entourent les retombées de ces recherches. Est-il possible par exemple que des extra-terrestres aient découvert les lois de la nature selon un autre ordre que celui qu’on connaît, ou bien devait-il d’abord conceptualiser l’atome pour ensuite y observer la radioactivité ? Si l’évolution des théories est nécessaire alors cela signifie qu’on fait bien un effort pour se rapprocher du réel. 

2. Nominalisme. Ce que nous disons du monde correspond-il à une articulation naturelles des structures du réel ou ne sont-ce là que des énoncés qui sont sans rapport avec le réel ? Si ce que nous disons du réel est vrai parce qu’il lui correspond, parce qu’il respecte les articulations du réel comme le boucher de Platon (dans le Phèdre), alors un énoncé est vrai et éternel grâce à ces structures du réel, qu’il soit validé ou non par la communauté scientifique. Mais on peut montrer qu’un énoncé devient vrai pour d’autres raisons qu’une correspondance avec un réel qui leur serait extérieur (comme par exemple, lorsqu’un travail scientifique est consacré par des institutions, des revues ou des pairs comme « vrai »). Bruno Latour dans La Vie de laboratoire a pu montrer que la vérité d’une théorie scientifique implique paradoxalement beaucoup de paperasses et de négociations avec des institutions plutôt qu’un isolement strict sur ses objets de recherche. Voilà donc ce qui commande de dire que nous sommes nominalistes ou réaliste : le réel est-il extérieur avant le travail scientifique ou est-ce le travail scientifique qui révèle cette extériorité.
3. Stabilité. Certaines théories aujourd’hui sont stables. Il n’y aura plus de grande révolution annonce Hacking. Car on a une base de physique assez stable pour cumuler des découvertes sans bouleverser radicalement nos paradigmes. Les découvertes sont durables. Elles ne sont pas modifiées car elle renvoient à quelque chose de réel. Si les théories ne correspondaient pas au réel, on ne pourrait jamais être sûr que leur durabilité ne soit rien d’autre qu’un effet de pouvoir, d’opinion, bref de croyances. Mais on peut aussi affirmer que cette stabilité est le fait même d’une certaine paresse scientifique. La raison de cette stabilité pourrait alors être externe, comme on le découvre souvent en faisant un peu de sociologie des sciences :  les articles qui annoncent des découvertes sont plus repris et rapportent plus de visibilité et d’argent que les articles qui tentent de confirmer ou d’infirmer des résultats scientifiques connus. On parle dans ce cas de « junk science ». Durant la période récente du COVID-19, on a vu cette junk science pulluler, chacun y allant de son propre diagnostic. 

Ian Hacking a montré en revanche que le réalisme concernait moins les théories (réalisme des théories) que les objets (réalisme des objets). Parce qu’il faut MANIPULER DES OBJETS EN LABORATOIRES.


II y a quelques années de cela, je discutais du réalisme scientifique avec un biologiste de L’université de Western Washington, le Dr. Jale Parakh. Nous avions parle de beaucoup de ces choses que les philosophes trouvent importantes. Un peu hésitant, il ajouta qu’à son avis l’une des raisons principales de croire à l’existence d’entités postulées par la théorie est que nous avons développé des moyens de plus en plus efficaces qui permettent vraiment de les voir. J’allais protester contre cet instinct naïf qui faisait peu de cas des problèmes philosophiques, mais je dus couper court. N'avait-il pas raison ? (…) 

    Les philosophes ont tendance à considérer les microscopes comme des boites noires ayant d'un côté une source lumineuse et de I' autre un trou permettant de regarder à travers. Si I' on en croit Grover Maxwell, il y a des microscopes de faible puissance et d'autres de forte puissance, et toute une variété d'objets de la même espèce. C'est inexact, comme il est inexact que les microscopes seraient uniquement pour qu'on regarde à travers. En fait, un philosophe ne parviendra certainement pas à voir à travers un microscope tant qu'il n'aura pas appris à en utiliser plusieurs. Si on lui demande de décrire ce qu'il voit, il pourra, à l'instar de James Thurber, dessiner le reflet de son œil, ou comme Gustav Bergmann, de voir qu'«une tache de couleur qui glisse dans le champ de vision comme une ombre sur un mur ». A coup sûr, il sera incapable de faire la différence entre un grain de poussière et la glande salivaire d'une drosophile tant qu'il n'aura pas entrepris de disséquer une drosophile sous un microscope à faible grossissement.

Voila la première leçon : pour apprendre à voir à travers un microscope, il ne suffit pas de regarder, il faut faire. On peut rapprocher ces idées de celles de Berkeley : dans son Essai sur une nouvelle théorie de la vision, il dit que nous n'acquérons la vision tridimensionnelle qu'après avoir appris ce qu'est se mouvoir dans le monde et y intervenir. Le sens du toucher est en corrélation avec l'image rétinienne réputée bidimensionnelle, et cette complémentarité qui résulte d'un apprentissage produit la perception tridimensionnelle. De même, ce n'est qu'en nageant sous l'eau que le plongeur apprend à voir dans ce milieu nouveau qu'est l'océan. 

IAN HACKING, Est-ce qu’on voit à travers un microscope ?


Mais ce réalisme ne peut pas être valable pour tout… Pour les objets des sciences sociales, de la psychiatrie et de la médecine c’est une question complexe. C’est en partie une affaire de construction sociale. 

En économie, sociologie, et même en médecine, observation et théorie sont liés inextricablement. 

Le cas de la maltraitance infantile ou du troubles de la personnalité pose une question difficile, puisqu’il n’y a de description précise de ces symptômes qu’à partir du moment où la théorie a été formulée. La théorie a crée un registre d’expériences. Si bien que Ian Hacking peut soutenir que la réalité est parfois construite socialement (ex : il n’y a pas de cas de troubles de la personnalité qu’aux USA où la théorie a été popularisée, notamment à cause du cinéma et l’enfance maltraitée n’existe qu’à partir du moment où les radiologues ont décidé de reporter les cas de soudures osseuses anormales sur des enfants qui avaient en réalité été battus par leurs parents… alors qu’auparavant ils croyaient seulement à des chutes, des fragilités). 

Le discours désignant un phénomène comme une construction sociale opère souvent pour critiquer la réalité visée : le racisme, le sexisme, le genre, etc. sont des constructions sociales car on veut dire par là 1) que ces réalités sont contingentes et 2) qu’elles pourraient être évitées enfin 3) qu’elles devraient être évitées. 

Mais le point le plus important, c’est de maintenir la possibilité d’une vérification rétrospective de la réalité de ces objets. C’est donc moins un discours scientifique qu’un discours historique qui vise à retracer la construction, la domination idéologique de certaines visions du monde. Il ne faut donc pas prendre l’extension de ces vocables pour une critique valide d’un réalisme scientifique nécessaire (la position la plus courante consiste à adopter un réalisme prudent, ou au moins un réalisme des objets). 


3. complémentarité foi et science.

Pascal tente de produire une réconciliation entre les deux domaines, mais à la façon logique d’un Aristote. « Dans toute démonstration, il y a de l’indémontrable » expliquait le Stagirite. On ne peut pas en effet démontrer les prémisses d’un raisonnement, à moins de se lancer dans une régression à l’infini (cf le trilemme d’agrippa). Cet indémontrable constituera ce qui est l’objet de la foi, d’une intuition qui n’a pas à rendre de compte à la raison. Le « coeur » sera chargé de sentir les vérités indémontrables mais que tout homme doit recevoir pour commencer à raisonner (par exemple, l’existence du monde réel). Mais de la même façon, la raison n’a pas à viser une aussi grande certitude que celle de l’intuition. « Les principes se sentent et les propositions se concluent et le tout avec le même degré de certitude quoique par des voies différentes » 

Néanmoins, l’intention de Pascal est aussi morale : il faut humilier la raison, car c’est elle qui aurait tendance à envahir les objets de l’intuition (c’est une attaque contre Descartes qui aurait prétendu démontrer que le réel est réel - alors qu’il existe, tout simplement).

Bergson envisage un rapport très différent, et très étonnant entre science et foi. La foi prend le relais de la science, car la science est tenue par sa méthode même de ne pas aller plus loin. Elle saisit les éléments les plus importants de la vie, autrement du rapport de l’esprit avec la matière, mais elle ne peut remonter de façon parfaitement claire vers l’esprit pure ou la matière pure. Cette remontée ne peut être que l’objet d’une spéculation. Et cette spéculation conduit donc la philosophie, orientée par la science, vers une contemplation mystique de Dieu. Sa conclusion philosophique est donc religieuse, mais dans le sens mystique, c’est-à-dire qu’elle n’est PAS doctrinale OU INTELLECTUELLE. Il s’agit de retrouver (non uniquement par un discours) mais de façon plus profonde une émotion suscitée par une intuition dont on ne fait que parler en philosophique :  l’indivisibilité de la vie.  


On hésiterait à l'admettre, s'il ne s'agissait que des médiocres habitants du coin d'univers qui s'appelle la Terre. Mais, nous le disions jadis, il est vraisemblable que la vie anime toutes les planètes suspendues à toutes les étoiles. Elle y prend sans doute, en raison de la diversité des conditions qui lui sont faites, les formes les plus variées et les plus éloignées de ce que nous imaginons ; mais elle a partout la même essence, qui est d'accumuler graduellement de l'énergie potentielle pour la dépenser brusquement en actions libres. On pourrait encore hésiter à l'admettre, si l'on tenait pour accidentelle l'apparition, parmi les animaux et les plantes qui peuplent la terre, d'un être vivant tel que l'homme, capable d'aimer et de se faire aimer. Mais nous avons montré que cette apparition, si elle n'était pas prédéterminée, ne fut pas non plus un accident. Bien qu'il y ait eu d'autres lignes d'évolution à côté de celle qui conduit à l'homme, et malgré ce qu'il y a d'incomplet dans l'homme lui-même, on peut dire, en se tenant très près de l'expérience, que c'est l'homme qui est la raison d'être de la vie sur notre planète. Enfin il y aurait lieu d'hésiter encore, si l'on croyait que l'univers est essentiellement matière brute, et que la vie s'est surajoutée à la matière. Nous avons montré au contraire que la matière et la vie, telle que nous la définissons, sont données ensemble et solidairement. Dans ces conditions, rien n'empêche le philosophe de pousser jusqu'au bout l'idée, que le mysticisme lui suggère, d'un univers qui ne serait que l'aspect visible et tangible de l'amour et du besoin d'aimer, avec toutes les conséquences qu'entraîne cette émotion créatrice, je veux dire avec l'apparition d'êtres vivants où cette émotion trouve son complément, et d'une infinité d'autres êtres vivants sans lesquels Ceux-ci n'auraient pas pu apparaître, et enfin d'une immensité de matérialité sans laquelle la vie n'eût pas été possible. (p. 271)


La vie est UNE et son unique volonté est « d’aimer et d’être aimé » c’est-à-dire de se reconnaître elle-même comme CREATRICE. En effet, selon Bergson, l’apparition de la vie partout dans l’univers contre la matière est la preuve qu’un même élan vers la vie s’est manifesté. Un univers entièrement matériel, dénué de vie, et uniquement soumis aux forces physiques aurait été possible. Mais au lieu de ça, la vie est apparue, et même Bergson imagine que la vie aurait pu dominer plus pleinement encore la matière dans d’autres mondes par exemple. 

La vision du mystique est celle-ci : « La Création lui apparaîtra comme une entreprise de Dieu pour créer des créateurs pour s’adjoindre des êtres dignes de son amour ». La vie est un miroir dans lequel son principe vital se découvre lui-même et s’aime lui-même.


Nous dépassons ainsi, sans doute, les conclusions de « L' Évolution créatrice ». Nous avions voulu rester aussi près que possible des faits. Nous ne disions rien qui ne pût être confirmé un jour par la biologie. En attendant cette confirmation, nous avions des résultats que la méthode philosophique, telle que nous l'entendons, nous autorisait à tenir pour vrais. Ici nous ne sommes plus que dans le domaine du vraisemblable. Mais nous ne saurions trop répéter que la certitude philosophique comporte des degrés, qu'elle fait appel à l'intuition en même temps qu'au raisonnement, et que si l'intuition adossée à la science est susceptible d'être prolongée, ce ne peut être que par l'intuition mystique. De fait, les conclusions que nous venons de présenter complètent naturellement, quoique non pas nécessairement, celles de nos précédents travaux. Une énergie créatrice qui serait amour, et qui voudrait tirer d'elle. même des êtres dignes d'être aimés, pourrait semer ainsi des mondes dont la matérialité, en tant qu’opposée à la spiritualité divine, exprimerait simplement la distinction entre ce qui est créé et ce qui crée, entre les notes juxtaposées de la symphonie et l'émotion indivisible qui les a laissées tomber hors d'elle. Dans chacun de ces mondes, élan vital et matière brute seraient les deux aspects complémentaires de la création, la vie tenant de la matière qu'elle traverse sa subdivision en êtres distincts, et les puissances qu'elle porte en elle restant confondues ensemble dans la mesure où le permet la spatialité de la matière qui les manifeste. Cette interpénétration n'a pas été possible sur notre planète ; tout porte à croire que la matière qui s'est trouvée ici complémentaire de la vie était peu faite pour en favoriser l'élan. L'impulsion originelle a donc donné des progrès évolutifs divergents, an lieu de se maintenir indivisée jusqu'au bout. Même sur la ligne où l'essentiel de cette impulsion a passe, elle a fini par épuiser son effet, ou plutôt le mouvement s'est converti, rectiligne, en mouvement circulaire. L'humanité, qui est au bout de cette ligne, tourne dans ce cercle. Telle était notre conclusion. Pour la prolonger autrement que par des suppositions arbitraires, nous n'aurions qu'à suivre l'indication du mystique. Le courant vital qui traverse la matière, et qui en est sans doute la raison d'être, nous le prenions simplement pour donné. De l'humanité, qui est au bout de la direction principale, nous ne nous demandions pas si elle avait une autre raison d'être qu'elle-même. Cette double question, l'intuition mystique la pose en y répondant. Des êtres ont été appelés à l'existence qui étaient destinés à aimer et à être aimés, l'énergie créatrice devant se définir par l'amour. Distincts de Dieu, qui est cette énergie même, ils ne pouvaient surgir que dans un univers, et c'est pourquoi l'univers a surgi. Dans la portion d'univers qu'est notre planète, probablement dans notre système planétaire tout entier, de tels êtres, pour se produire, ont dû constituer une espèce, et cette espèce en nécessita une foule d'autres, qui en furent la préparation, le soutien, ou le déchet : ailleurs il n'y a peut-être que des individus radicalement distincts, à supposer qu'ils soient encore multiples, encore mortels ; peut-être aussi ont-ils été réalisés alors d'un seul coup, et pleinement. Sur la terre, en tout cas, l'espèce qui est la raison d'être de toutes les autres n'est que partiellement elle-même. Elle ne penserait même pas à le devenir tout à fait si certains de ses représentants n'avaient réussi, par un effort individuel qui s'est surajouté au travail général de la vie, à briser la résistance qu'opposait l'instrument, à triompher de la matérialité, enfin à retrouver Dieu. Ces hommes sont les mystiques. Ils ont ouvert une voie où d'autres hommes pourront marcher. Ils ont, par là même, indiqué au philosophe d'où venait et où allait la vie.



4. Crise des fonctions sociales des croyances dans un monde sécularisé. 

Si on décrit la religion d’un point de vue anthropologique, on trouvera un certain nombre de caractéristique. La religion sert à cartographier le réel en lui donnant un relief, des espaces sacrés, qui sont différents des espaces homogènes, ou des temps sacrés qui sont supposés répéter des moments ancestraux, des temps « hors du temps ». Ils sont des points de repères. 

La religion a servi de morale accessible à tous. Feuerbach (suite à Hegel) explique que Dieu n’est que la conscience de soi de l’homme, c’est-à-dire qu’il incarne ce que l’homme pourrait être de meilleur : omnipotent, omniscient, immortel. Mais cette projection idéale suppose une déchirure avec le réel qu’il faudrait résorber. Par conséquent, en héritier de Feuberbach, Marx assume de dépasser la religion au nom d’un autre idéal, qui serait celui de ne plus seulement interpréter le monde, mais de le changer vraiment. « L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. » Mais ce réel auquel tend Marx est lui aussi un réel à venir, un réel auquel il faut croire.

Le monde dans lequel nous vivons est sécularisé. Cela signifie que même si nous avons hérité de valeurs chrétiennes, nous n’arrivons plus à croire. « Dieu est mort » selon la formule de Dostoïevski. Ce qui veut dire que l’évidence avec laquelle la foi semblait répondre aux problèmes des hommes ne s’impose plus aujourd’hui. D’autres explications sont possibles, dont les explications scientifiques, et d’autres valeurs sont disponibles. Autrement dit, c’est peut-être moins l’incapacité de l’homme à croire en ces valeurs (ce que Nietzsche nomme le nihilisme) que la multiplication même de ces croyances et de ces valeurs qui est à l’origine de la sécularisation. Il n’y a plus d’hégémonie en ce qui concerne nos croyances. Et notre trouble vient sans doute de ce que nous devons nous interroger davantage et choisir davantage ce que nous devrons faire de cette liberté inédite.


5. Crise de la science dans un monde désenchanté.

La science désenchante le monde si on considère qu’elle alimente l’idée de progrès. Telle est la thèse de Weber. En effet, la vie religieuse possède sa finalité en elle-même. Notre vie doit permettre d’obtenir la grâce, ou une forme de salut (c’est le point commun des religions d’après Durkheim). Mais le salut n’existe pas dans un monde scientifique, car nous ne sommes que des relais vers une nouvelle génération, des nains sur des épaules de géants selon la formule de Pascal. Nous ne parachevons donc jamais les fins dernières de l’humanité.  Il y aura toujours un nouveau défi à relever, des nouvelles découvertes à faire.

Par ailleurs, la science est en crise depuis la post-modernité. La post-modernité c’est le fait de vivre dans un monde après la modernité. La modernité a imposé l’idée d’un progrès continu. Elle justifiait l’autorité de la science. L’idéal des Lumières est l’incarnation de cette modernité. Le savoir doit nous émanciper et rejeter la superstition. Mais ce « métarécit » comme le nomme Lyotard n’est plus reçu, et la science semble avoir perdu son autorité. Elle est au contraire devenu une information comme les autres, et une marchandise, qu’on peut acheter ou non. 



CONCLUSION : C’est parce que la science ne peut pas vérifier ou réfuter toutes les croyances qu’elle opère son rôle de science, c’est-à-dire de vérification des énoncés. Tous les énoncés ne sont pas vérifiables. Il existe un large champ qui reste hors du champ de la science et dans laquelle la science se compromettrait si elle venait à prétendre les vérifier.

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