Premier cours

        

        Trop tard, vous êtes en terminales et vous devez faire de la philosophie… Vous êtes donc confronté à un fait : la philosophie est une matière nouvelle. 

Bonne nouvelle (interprétation de ce fait) : elle n’est pas si étrangère à ce qui a été fait auparavant, notamment la question d’argumentation en littérature. Elle fait appel à des connaissances dans toutes les matières.

Mauvaise nouvelle : elle n’est pas un ensemble de connaissances fixées qu’il suffirait de « recracher ». (Ce qui devrait soulager celles et ceux qui n’en peuvent plus d’apprendre des choses par coeur).


La philosophie est d’abord liée à un âge où il existait des sages. Mais alors pourquoi on ne fait pas un cours de sagesse (sophia) ? Dans la Grèce Antique, on distingue des genres de vies (on emprunte le mot au grec, et on parle en français d’« ethos »). Il y a ceux qui cherche la gloire, la richesse ou la sagesse.

Mais après Pythagore, le mot « philosophe » est une façon de se distinguer de ceux qui prétendent être déjà sages (« sophos ») et ceux qui aspirent à l’être, qui « aiment » (philein) la philosophie. Le philosophe est l’apprenti-sage. Mais cette explication est aussi une défense de ceux qui étaient accusés de ne pas être très sages… ils pouvaient répondre malicieusement qu’ils étaient apprentis sages.

La philosophie est « désir de connaître et amour du savoir » (Platon, République, livre II). Car si je désire la sagesse, c’est que je ne le suis pas encore. Je ne peux désirer que ce que je n’ai pas ou que je ne suis pas.

La vie du sage n’est pas celle de l’homme qui cherche la gloire ou la richesse. Elle est la vie de l’homme qui chasse la vérité (comme dirait Pythagore). Mais surtout, depuis Socrate, cela signifie que ce n’est pas seulement l’objectif d’une vie qui rend philosophe, mais que c’est aussi une façon de vivre sa vie. C’est une vie qui doit être examinée, et qui pose comme principe qu’elle est en perfectionnement et non parfaite. On peut donc faire différentes activités en philosophe.

D’où la phrase de Socrate : « une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue. » S’examiner, c’est chercher à se connaître soi-même, c’est-à-dire connaître ce qu’on ne sait pas encore, connaître ses limites.

La tradition philosophique grecque est donc toute entière contenue dans ce précepte inscrit sur le temple de Delphes :  « connais-toi toi-même ». De cette façon seulement, on pourra se critiquer et progresser – au lieu de supposer que nous sommes déjà parfaits et donc que nous n’avons aucun effort moral à faire.





Kant explique par exemple qu’il ne faut pas apprendre la philosophie mais apprendre à Philosopher. Car la philosophie est « une méthode de recherche », une « zététique », du grec zétein (chercher).

Si cette méthode n’est enseignée qu’en terminales c’est que, comme le défend Kant, « ce ne peut être que dans une raison déjà exercée qu’elle devient en certains domaines dogmatique, c’est-à-dire décisoire. »

Autrement dit, il faut déjà savoir quelque chose pour se demander ce que sont ces choses, si elles sont vraies, et comment on les a apprises.

La philosophie consiste donc à « raisonner par soi-même » à propos de connaissances constituées par les autres. Elles n’est ni dogmatique (elle ne se contente pas des connaissances déjà disponibles), ni purement sceptique (elle propose des réponses).

       (Par conséquent, contrairement à ce que pense Rick, il n’est pas idiot de continuer à apprendre quelque chose qu’on sait déjà, puisque c’est une façon de mieux exercer sa raison et son esprit critique)


Il est difficile de s’examiner soi-même ou de raisonner par soi-même. Car nous avons des idées toutes faites, que nous prenons pour des vérités. 

La première chose à laquelle se confronte un philosophe sont les idées préconçues, les préjugés, etc. 

La philosophie s’est confrontée à ce que des chercheurs comme Daniel Kahneman appelle le système 1 et le système 2. Nous avons aussi bien la capacité à produire une pensée personnelle, lente et complexe qu’une pensée rapide, stéréotypée et simpliste. 

     L'effort de la philosophie est donc de faire passer du système 1 (notre idiot intérieur, toujours présent) au système 2. Contrairement à d'autres matières, donner aussitôt le résultat ne servira à rien. Car c'est seulement en montrant ce qui est limité dans les premières réponses qui nous viennent à l'esprit, les préjugés, les opinions, les fausses certitudes, qu'on peut une réponse plus complexe et plus subtile. Nous devons donner raison à notre idiot intérieur (c'est-à-dire trouver les raisons qui lui font dire ce qu'il dit) si nous voulons ensuite retrouver le véritable usage de notre raison (qui nous fera nous mettre d'accord entre personnes raisonnables).

        Tout le monde part de ces premières fausses évidences pour réfléchir (les problèmes que vous avez pu lire sur les documents ont été posé à des étudiants du MIT brillants, mais qui, une fois fatigués, ont commis les mêmes erreurs que tout le monde, en suivant leur système 1). Mais la philosophie est une discipline qui impose de savoir les critiquer et les corriger au fur et à mesure. Cette méthode, qui implique une certaine honnêteté (puisqu'il faut pouvoir dire qu'on a eu tort) est ce qui fait sa singularité. 

    Il faut ajouter qu'une telle discipline est complexe, car elle suppose de ne pas se contenter d'affirmer ce qui est vrai ou faux, mais plutôt comme le suggère David Foster Wallace dans son histoire avec le croyant et l'athée au sujet des eskimos que le plus difficile est de sortir de ses propres structures de croyances pour comprendre comment celles des autres se sont construites.

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