HLP - Rhétorique contre dialectique

 1. Trois formes de discours.

La rhétorique est l’art de bien parler. Elle sert à emporter l’adhésion de notre auditoire.

Il existe trois formes différentes selon Aristote pour produire cette adhésion :

- le pathos, l’émotion.

- l’éthos, l’autorité.

- le logos, la raison.


    Chacun ont des utilités et des avantages différents. 

L’ethos exige une adhésion a priori, peu importe la beauté du discours ou sa logique. Car lorsqu’on parle, nous représentons autre chose que nous-mêmes. 

Ainsi lorsque Hammurabi énonce les lois de Babylone, il s’autorise de la puissance des dieux de la cité. 



Le pathos est puissant si nous considérons que les émotions fondamentales sont partagées par tous les humains, universellement (la peur, l’envie, la joie, la tristesse, le dégoût). Par ailleurs, l’humain n’est pas souvent concentré pour suivre un raisonnement logique, et cette voie semble également la plus ordinaire pour se faire écouter. 

Elle n’est pas dénué de subtilité. Lorsque Martin Luther King prononce son dernier discours « I’ve been to the mountaintop » à Memphis le 3 avril 1968, ce n’est pas un discours enflammé. Le ton est fataliste. Martin Luther King parle pour expliquer qu’il ne faut plus céder aux inquiétudes (la veille de son assassinat). Il commence par raconter une histoire d’un voyage dans le temps pour rencontrer ses héros. Mais très vite, il préfère vivre dans la période chaotique qu’il connaît, parce que c’est à ce moment de l’histoire qu’il est le plus capable de rendre justice. Il accepte donc le monde dans son état présent. Ce sentiment peut être nommé « joie » ou pourrait être rapproché d’une forme d’ataraxie, c’est-à-dire de la tranquillité d’esprit définie par les sages de l’Antiquité. 



Enfin, le logos est nécessairement le moyen préféré des philosophes pour parvenir à une conclusion. Mais s’il produit des vérités plus solides, il suppose aussi l’usage correct de la raison, ce qui n’est pas si ordinaire. Mais la vérité d’un raisonnement doit pouvoir transparaître malgré les extravagances ou des apparences moins sérieuses.




Ainsi dans le film Clueless, le discours d’Amber est supposé défendre les réfugiés haïtiens qui arrivent aux Etats-Unis. Amber est une ado californienne typique, qui a grandi à Beverly Hills. A priori, rien ne semble plus éloignée d’elle que les questions politiques. Mais elle compare l’organisation de la fête d’anniversaire de son père pour ses 50 ans avec l’arrivée des réfugiés. Elle propose une analogie. L’exigence d’une réponse à l’invitation (le RSVP) est à l’organisation de la fête de son père ce que l’exclusion des migrants est aux Etats-Unis, c’est-à-dire une précaution inutile. Même sans avoir un décompte exact des invités, on peut s’organiser au dernier moment et faire la fête d’après Amber. 



2. Priorité de la persuasion sur la raison.

Mais ces trois formes sont souvent opposés. La raison est entravée par la passion. La passion elle-même est paralysée par la solennité du recours à une autorité…

Pourtant, au XVIIe siècle, Pascal perçoit une complémentarité possible entre logos et pathos. Il recommande de commencer par cerner le point de vue de celui qui écoute pour mieux le conduire ensuite à la raison. L’effort de persuader semble précéder celui de convaincre. 

Dans l'Art de persuader, Pascal appelle à connaître la personne qu'on veut persuader. Car on ne persuade que les personnes qui hésitent véritablement, les « tièdes » pour reprendre une expression biblique. « il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l’esprit et le coeur, quels principes il accorde, quelles choses il aime. » 

Mais on peut aller encore plus loin… Il n'est pas nécessaire de dire la vérité pour persuader puisqu'on sait que « les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison. »

Platon également reconnaît dans le dialogue qui est intitulé Gorgias (du nom de celui avec qui Socrate dialogue) qu’on peut parvenir à la vérité par la croyance ou la science. Et seule la science est véritable, c’est-à-dire que seule la science peut mener toujours à la vérité. Mais utiliser la croyance de notre auditoire est souvent inévitable, du fait du partage des connaissance avec des personnes moins savantes (vulgarisation), ou du fait de l’enjeu vital qu’il peut y avoir à gagner un procès.





3. Excès de la rhétorique.

  Une complémentarité est souhaitable, mais est-elle vraiment possible ?

La rhétorique est quelque chose de très contemporain, puisqu’on vit dans un monde où l’on veut pouvoir persuader et manipuler les gens.

Aujourd'hui, on utilise des technologies de persuasion pour faire en sorte que les plateformes numériques que nous utilisons nous rendent plus favorables à certaines idées. 

Cf Tristan Harris (qui a travaillé à Google) : https://www.ted.com/talks/tristan_harris_how_a_handful_of_tech_companies_control_billions_of_minds_every_day

Cf Derrière nos écrans de fumée sur Netflix (plateforme qui elle aussi utilise la persuasive technology pour mieux cerner les goûts des usagers.)

  Nous qui vivons encore à une époque où la persuasion et la croyance dominent, nous pouvons douter que ce dont rêve Tristan Harris soit possible. Il espère que les plateformes recueille des informations qui permettent d’inciter le plus possible leurs utilisateurs à quitter les plateformes. 

Peut-on empêcher de se faire manipuler ? Cette question préoccupe notamment Platon et Socrate.

Socrate remarque qu’en toute occasion celui qui sait, le savant, n’est pas forcément écouté. Il faut qu’il soit aidé par un médiateur, un orateur qui pourra persuadé les autres. La parole ne s’impose pas grâce au seul savoir qu’elle transmet.

Le problème est que ce médiateur peut persuader de la vérité, ou ne pas le faire, de l’aveu même de Gorgias, qui était reconnu comme un grand orateur. Gorgias en effet explique que le médecin peut moins convaincre ses patients que l’orateur bien formé. Tant que l’orateur défend l’avis du médecin, on pourrait être content. Mais rien ne prouve que l’orateur s’arrête ici, puisque l’orateur ne possède aucun savoir propre, et qu’il ne connaît aucune limite inhérente à ce savoir. 

Socrate confronte alors Gorgias. Il lui explique que s'il est un très bon orateur comme le prétend Gorgias, alors il y a un problème... car un bon orateur peut convaincre de tout, y compris de ce qui n'est pas vrai ! Donc un bon orateur est en réalité un mauvais orateur, c'est-à-dire un orateur qui n'aura aucune limite, aucune connaissance certaine de la vérité.

4. Règles du dialogue.

Dans le Gorgias, Socrate explique comment il faut dialoguer. Les règles du dialogue selon Socrate sont de : 

- s'accorder sur ce dont on est en train de parler.

- et ne pas utiliser de sous-entendus.

- plus encore, il faut dialoguer avec bienveillance et sans honte. 

Et il faut surtout accepter de se faire réfuter. La condition de tout dialogue est donc de ne pas parler pour rien. Mais de parler parce que cette discussion a un enjeu.

Autrement dit, il ne faut pas séduire, mais utiliser la raison. Ce qui signifie que je laisse l'autre se mettre d'accord avec moi, plutôt que de le contraindre à être d'accord avec moi en le séduisant.


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