Exemple pour la question de réflexion

  Dans ce texte de Platon, extrait de Gorgias, Socrate discute des règles du dialogue. Selon lui, chaque dialogue doit avoir pour but la recherche de la vérité. La vérité est l’adéquation de l’idée et de la réalité. Si un dialogue, qui est un échange entre deux personnes, doit imposer des règles, c’est principalement parce que nous ne sommes pas toujours sûrs de savoir ce que notre interlocuteur dit.
Mais si un dialogue peut déboucher sur de l’incompréhension, pourquoi devrait-on nécessairement lutter contre cette incompréhension ? Ne faudrait-il pas renoncer tout de suite à la vérité ? Pire même, ne faudrait-il pas profiter de ces malentendus pour manipuler notre interlocuteur ? Nous pouvons donc nous interroger pour savoir si tout dialogue doit conduire à la vérité. En d’autres termes, cela revient à se demander s’il faut combattre les malentendus ou au contraire en profiter pour imposer sa propre façon de penser. 

Platon défend l’idée que le dialogue doit conduire à la vérité. 
En effet, si un dialogue se déroule sans règles, chaque interlocuteur repart perdant et fâché. Car ils ne s’entendent pas. Ils ne définissent pas les mots qu’ils emploient. Platon expliquent que « les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s’être l’un et l’autre mutuellement instruits. » A proprement parler, il s’agirait à peine d’un dialogue, car si les deux interlocuteurs parlent, mais ne savent même pas de quoi ils parlent. Rien ne sera échangé sans règles. Mais surtout, chaque interlocuteur pense que le conflit est de la faute de l’autre. Le texte de Platon fait un constat amer en parlant des interlocuteurs : « ils s’irritent l’un contre l’autre, et chacun d’eux estime que son interlocuteur s’exprime avec mauvaise foi. » Cette mauvaise foi signifie donc qu’en plus de manquer de clarté auprès de son interlocuteur, on se ment également à soi-même en croyant qu’on sait de quoi on parle, alors qu’on ne parvient pas réellement à le définir à autrui. Si le dialogue doit défendre la vérité, c’est donc essentiellement parce que la vérité permet de faire la paix. 
Lorsqu’Alceste et Philinthe se disputent dans Le Misanthrope, c’est parce que ni l’un ni l’autre n’ont la même définition de ce qu’est l’amitié et de la bonne conduite à tenir en société. Selon Alceste, un ami ne devrait pas être ami de tout le monde, car « c’est n’estimer rien, qu’estimer tout le monde. » Alceste veut être distingué du reste des autres humains en tant qu’ami, sinon le lien d’amitié serait alors banal. Au contraire, Philinthe juge insupportable le mépris d’Alceste pour les autres au nom de l’amitié. Il faut être ami au nom de l’humanité et non par exclusion du reste des humains. L’amitié reçoit un sens plus large, mais cela ne signifie pas qu’elle ne s’abîme dans le nombre d’amis que l’on peut compter. La dispute semble définitive, et les amis repartent fâchés faute d’avoir pu s’entendre sur le sens même de l’amitié. Les deux personnages de la pièce de Molière, pour se réconcilier, auraient dû montrer qu’on est amis avec quelqu’un parce qu’on décèle en lui une humanité (comme le pense Philinthe) mais que déceler cette humanité n’est pas une tâche si simple, et que c’est pour cette raison que les amis ne sont pas si nombreux et demandent une attention particulière (comme le pense Alceste).
Mais sur quoi pourrait-on s’appuyer pour dire que l’un des deux détenait la bonne définition de l’amitié ? Nous pourrions dire également que la vérité ne peut pas toujours être perçue. Il n’est pas si simple, voire pas possible de dire ce qu’est la réalité objectivement. Nous pouvons nous appuyer sur ce que pense le sophiste Gorgias et qu’il emprunte à la philosophie sceptique : la réalité n’est pas saisissable, si elle est saisie, elle ne peut être connue, et même si elle était connue, elle ne pourrait être communiquée. Nous sommes alors condamnés à parler pour ne rien dire puisque personne ne peut réellement ni saisir une réalité commune, ni la connaître, ni la partager. 
D’un autre côté, il est également possible d’être d’accord sans toutefois parvenir à la vérité. Par exemple, Socrate sait bien qu’il impressionne son interlocuteur et que celui-ci pourrait céder seulement parce qu’il a honte, ou qu’il veut s’attirer ses bonnes grâces. Socrate lui-même hésite à continuer à dialoguer car il a peur de passer pour un homme qui critique gratuitement et détruit la réputation de son interlocuteur par simple rancoeur. Cela signifie qu’autour du dialogue entre deux personnes il existe un contexte social. Les dialogues philosophiques de Platon se déroulent souvent en public, et les réputations se font et se défont au cours de ces joutes oratoires. Gorgias a avoué dans le dialogue éponyme écrit par Platon que lorsqu’il parlait, il ne cherchait pas à convaincre son interlocuteur mais l’auditoire qui assistait au dialogue. L’autre n’était en réalité qu’un instrument pour manipuler l’auditoire par ricochet.

Ainsi, nous sommes tentés de dire que le dialogue doit conduire à la vérité. Mais deux obstacles sérieux se dressent sur le chemin vers la vérité. Il faut écarter d’abord les doutes sceptiques des interlocuteurs concernant la définition des mots. Enfin, il faut se méfier de faux accords et de fausses vérités extorquées grâce à la pression sociale. Autrement dit, un dialogue qui mène à la vérité est aussi un échange honnête, entre deux personnes qui savent à quel point la vérité est fragile à établir.

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