Sujet : l’art nous rend-il plus libre ?
Devant le sujet « l’art nous rend-il plus libre » il existe plusieurs réponses possibles :
I.
On entend ici par liberté le fait de produire des objets dans l'indépendance, sans contraintes physiques, sociales ou politiques.
- l’art est expressif, c’est-à-dire qu’il consiste en l’effort d’une conscience pour s’extérioriser. Un artiste matérialise ce qu’il avait à l’esprit. Hegel nous explique que de « conscience théorique », la conscience de l’artiste devient « conscience pratique » car elle s’est projetée dans une matière étrangère pour lui imprimer sa forme et se rendre objective. L’art est du spirituel matérialisé. Et cet effort témoigne d’une liberté fondamentale de la conscience qui ne se contente pas de sa seule existence sur un plan théorique. La liberté ici consiste à se développer soi-même.
- L’art nous libère des conventions sociales ordinaires. L’artiste est celui qui révèle l’individualité des choses que nous ne voyons plus. Nous préférons agir sur le monde et le simplifier. L’art nous fait voir ce que le monde est s’il n’est plus simplifié au nom de l’action. Par conséquent, Bergson nous dirait que l’artiste est celui qui arrache les « étiquettes » collées sur les choses mêmes – étiquettes qui simplifient, recouvrent et se contentent de noter « l’impression utile » de ce qui nous entoure sans apercevoir le reste. La liberté ici consiste à ne plus être soumis et conditionné par le monde social.
- L’art nous apprend la maîtrise de soi. Le monde est laid. Chaque effort pour supporter ce monde est un le début d’une maîtrise de soi-même. La discipline de l’artiste est considérable puisqu’il tente de redonner à un monde chaotique un sens qu’il n’a pas, et sans lequel il serait insupportable. Nietzsche défend l’idée que l’artiste entretient un certain rapport à la vie : il ne se contente pas de vivre, il veut l’embellir. La liberté consiste dans une maîtrise de soi, et une capacité à donner du sens aux choses.
II.
Mais si la liberté consiste à être indépendant, et que l’artiste est dépendant ou rend les autres dépendants, alors l’art pourrait être un obstacle à la liberté :
- l’art doit nous permettre de nous émanciper de la vie courante, de la culture, et nous permettre de contempler les productions des consciences humaines passées confrontées aux grandes questions de la condition humaine. Il devrait n’avoir aucune utilité pour nous. Mais comme l’art est de plus en plus dépendant d’un marché, la contemplation est troublée par des attentes nouvelles : être nouveau, être divertissant, rendre la vie agréable. L’art selon Hannah Arendt n’est plus ce qui guide notre regard sur la condition humaine, mais ce sont nos besoins qui guide ce que doit être l’art.
- L’art devrait être une façon de s’émanciper de l’idéologie de notre temps pour nous montrer des vérités désagréables. Mais au contraire, il semble reconduire une aliénation de son public en le berçant d’illusions consolatrices (le prince charmant arrivera, la vie est belle, les gentils gagnent à la fin, etc). Selon Adorno, l’art s’est changé en industriel culturelle qui maintiens les masses dans une idéologie confortable et illusoire.
- L’art devrait montrer la vérité. Mais au lieu de ça, l’art est dépendant des apparences et donc nous éloigne de cette même vérité. D’après Platon nous sommes trompés par l’artiste qui fait passer la copie d’une chose pour la chose même.
III.
La troisième partie sert à débloquer l'opposition entre la partie I et la partie II en montrant qu'un des termes a été mal compris.
Si ses dépendances sont des obstacles, l’art néanmoins nous apprend à tolérer les limites de notre condition et à composer avec elles. La liberté n’est pas donc pas un absolu (on est libre ou on ne l’est pas) mais un effort progressif (on se rend de plus en plus libre, comme le sujet le suggère). La liberté consiste à choisir ses contraintes plutôt qu'à les ignorer (être autonome plutôt qu'être indépendant) :
- L’art nous apprend à nous inscrire dans un monde qui est déjà rempli d’autres tentatives de faire de l’art. Cf Arthur Danto.
- L’art nous apprend à transformer un objet ordinaire en symbole. Cf Goodman.
- L’art nous apprend à nous approprier des techniques qui préexistent et à les détourner. Cf Mathieu Triclot.
- L’art nous apprend à nous approprier un récit et un texte plutôt que de rester passif et docile face à l’œuvre du grand artiste. Cf Jenkins
- L’art à l’ère de sa reproductibilité techniques nous donne l’occasion de recomposer une culture artistique en dehors des contraintes traditionnelles. Cf Benjamin
- L'art permet de montrer un autre monde possible, au-delà des conventions sociales. L'art montre que tout n'entre pas dans les catégories prédéterminées d'une société. Cf Bergson
- L'art permet de remettre en cause les injustices de notre monde qu'on juge naturelles. Car il permet même de mettre en scène les idéologies (comme dans Invasion Los Angeles commenté par Slavoj Žižek). Dans ce cas, l'art permet de lutter contre l'aliénation dont l'accusait Adorno.