A-t-on le droit de se faire justice soi-même ?
Josey Wales Hors-la-loi peut-il vraiment rester hors-la-loi longtemps ?
La justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Elle est un idéal. Le droit est chargé de dire comment réaliser cet idéal. Il est un outil normatif.
La justice peut avoir un sens personnel : savoir ce qui est harmonieux. Cette définition de Platon concerne aussi bien le pouvoir judiciaire que la vertu personnel d’une personne juste et en bonne santé (en trouvant un équilibre entre la raison, la volonté et les désirs). Partons d’une définition simple et courante de la justice : elle consiste à « rendre à chacun ce qui lui est dû » et donc rétablir un ordre idéal. Elle peut concerner la réparation de préjudices selon des lois (pénal) ou la préservation des intérêts de chaque citoyen (civil).
Dans ce cas, chaque acte singulier de vengeance est vu comme susceptible de déstabiliser un ordre social, soit en ne respectant pas les lois mais sa seule volonté, soit en s’attribuant plus que nécessaire. La vengeance est alors condamnable par essence. Elle est disharmonieuse, elle n’a pas l’impartialité du droit, elle n’est que passionnelle et susceptible de reproduire la violence plutôt que de l’endiguer.
Cf dialogue entre Bruce Wayne et Rachel dans Batman Begins (Nolan, 2005). Rachel rappelle à Bruce qu’il n’agit que par intérêt, par vengeance, et que cette vengeance l’aveugle. « Look beyond your own pain » lui dit-elle. Elle l’oblige à voir la réalité qu’il ignore, c’est-à-dire derrière le crime particulier (le meurtre de ses parents), le système criminel lui-même (la mafia dirigé par Joe Falcone). Par ailleurs, la justice nécessite plus que des actes vertueux. Elle exige un idéal (pour lequel se battaient les parents de Bruce Wayne en construisant des orphelinats). Elle exige surtout que chacun se sente responsable et actif dans la participation à la cité. Or c’est ce qu’un justicier comme Batman risque de mettre en péril en agissant seul et en ne donnant aucun moyen aux citoyens eux-mêmes de se saisir de la justice et de permettre qu’elle soit rendue.
Mais on peut hésiter à dire ce qu’est vraiment la justice… il en existe plusieurs modalités (communtative, distributive, corrective, punitive, procédurale, réhabilitative, administrative etc.) et on peut dire comme Hans Kelsen que la seule vraie justice est la tolérance à légard de différentes valeurs qui permettent de juger ce qui est bon. On est considéré alors comme relativiste (ce qu’on appelle « justice » dépend de conditions hsocio-historiques).
Mais alors n’est-on pas condamné à faire justice soi-même, simplement parce que dans le fond, l’état ne sait pas déterminer parfaitement ce qu’est la justice ? Si tel est le cas, alors il perd la position d’impartialité qui le rendait légitime d’appliquer la loi. Un état ne pourrait jamais respecter pas les intérêts des citoyens puisqu’il ne peut pas déterminer d’intérêt commun à ces citoyens selon des normes qui seraient transcendantes. Sans justice commune, tout droit serait alors particulier, relatif et jamais universel.
Dans ce cas, la justice ne devrait être autre chose qu’un accord passé entre des individus particuliers, comme Clint Eastwood le fait dans le film Josey Wales Hors-La-Loi. Josey Wales est un personnage fictif qui incarne les idéaux libertariens de Clint Eastwood. Il est hors-la-loi parce qu’il refuse de déposer les armes après que sa famille se soit faite massacrer par les mercenaires du Nord (les Red Legs) qui prétendait agir au nom des idéaux de justice nordistes. Il voit ensuite ses camarades d’armes se faire tuer en rendant les armes, alors que le nouvel état confédéré américain promettait de les grâcier et d’instaurer la paix. « Don’t piss on my back and tell me it’s raining ». Les promesses de l’état semblent mensongères. Au fil de son périple, le hors-la-loi est plus juste et respectueux que les troupes qui le pourchassent. Josey Wales est obligé de passer un accord avec les Comanches et notamment le chef Dix-Ours. Les deux guerriers se jaugent et estiment qu’« aucun traité ne peut contenir le fer » c’est-à-dire qu’aucun traité signé par des états ne permet vraiment de garantir le courage des hommes qui le signent. Seuls des guerriers qui n’ont pas peur (et qui possèdent le « fer », c’est-à-dire le courage) peuvent se faire confiance. Josey Wales a prouvé la valeur de sa parole de vie et sa parole de mort en venant seul devant Dix-Ours et en risquant de se faire tuer par les Comanches. Ainsi se scelle le pacte d’alliance entre la petite troupe de Josey Wales et les Comanches. « Je ne promets rien de plus » Wales n’a pas menti intentionnellement ou promis quoi que ce soit de merveilleux pour obtenir cet accord.
Mais où mène cette vision idéale de justice du far west ?
I. SOUMETTRE LES CITOYENS A LA LOI.
1. Le paternalisme de l’état.
L’état est comme nos parents. Car on lui doit la vie. A ce titre, la dette qu’on lui doit est infinie. Nous n’aurions que des devoirs et aucun droit (comme l’a soutenu Auguste Comte au 19ème siècle).
L’état désigne à la fois la centralisation et le monopole du pouvoir. Il est le « siège exclusif de la puissance publique » selon Burdeau. « Siège » car il n’est plus attaché à une personne. « Exclusif » car il interdit l’usage d’autre force que la sienne. « Puissance publique » car il est une puissance au service du bien public.
Pour le dire autrement, l’état pallie les défauts d’une incarnation du pouvoir dans une personne, qui meurt et peut pervertir l’intérêt public.
Dans ce cas, on doit tout à l’état, et Socrate accepte sa violence, même lorsque l’état réclame sa mort. Car il vaut mieux un état injuste que pas d’état du tout. Mais comment garantir la justice de l’application de la loi ?
2. L’objectivité du droit
Les principes d’un état de droit, qui garantissent la justice sont les suivants :
Nous sommes égaux devant la loi, c’est le principe dit d’isonomie. L’état garantit l’impartialité des jugements et ne se laisse pas troubler par les passions individuelles. C’est l’article 6 de la constitution. Tout le monde sera traité de façon égale devant la loi.
La séparation des pouvoirs garantit l’indépendance de la justice, de façon à ce qu’elle ne soit pas instrumentalisé aux services d’un pouvoir politique particulier. Si un dictateur décide par exemple de faire condamner ses opposants politiques sur de fausses accusations de corruption, il détourne la justice de son véritable but, qui est le bien commun.
Pour cette raison, le droit doit prioritairement se prémunir de toute passion, qui le ferait passer pour un acte singulier de vengeance. Plutôt que de s’abîmer dans une décision partiale ou partielle, il préfère la prudence pour maintenir son impartialité. Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison. Par exemple, si on autorisait la déportation d’étranger dans des prisons salvadoriennes violentes sous prétexte qu’ils appartiennent à un gang à cause de tatouages, en ne leur offrant aucun procès qui permet de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un tatouage de gangs ou qu’ils ne font plus partie de ce gang, ce serait un acte de justice qui corromprait la confiance placé dans le droit lui-même.
L’état est donc le médiateur de la réparation du tort. Il est le seul à pouvoir mettre fin à ce qui menace vraiment la société, c’est-à-dire un cycle de vengeances sans fin, un état de guerre de tous contre tous. Perdre l’impartialité condamne à l’autodestruction de la société.
En France, les victimes ne peuvent pas réclamer directement vengeance car les magistrats du ministère public se font les porte paroles de la société dont l’ordre a été troublé par le crime. Le droit pénal s’exerce au nom de la société et pas au nom des victimes. C’est le principe de subsidiarité de l’état : les victimes ne sont que les parties civiles appelées à témoigner. Elles ne constituent pas des équipes juridiques censées s’affronter devant un juge comme aux Etats-Unis. C’est bien l’état qui rétablit l’ordre.
L’impartialité du jugement est rendue possible par la façon dont les débats sont tenus (chaque partie y est traitée de façon égale, les cas sont traités individuellement). On doit tenir compte tenu de la complexité des cas. La justice n’est pas rendue mécaniquement, elle appelle une attention aux détails, à la vérité. Mais on ne peut pas déterminer une vérité certaine (même si on fait appel à des experts, ou à des scientifiques dans certains cas). On ne peut que convenir d’une vérité raisonnable : la vérité est ce sur quoi les jurés raisonnables se mettent d’accord.
Cf Douze hommes en colère (Lumet, 1957). Les jurés étaient prêts à condamner à mort un suspect sur la base de plusieurs préjugés (il est italien, il est jeune et a contesté l’autorité du père) ou de preuves indirectes (on a retrouvé un couteau qui ressemble à l’arme du crime dans la rue, et qui ressemble au sien etc). Le juré numéro 7 ne veut pas voter la culpabilité, car il sait qu’il ne sait pas tout. Quand on lui demande s’il croit le suspect, il répond seulement : « Je n’en sais rien. » En émettant un doute, il force les autres jurés à débattre, à échanger des arguments plus solides, et à parvenir à une vérité raisonnable, qui fait apparaître un sérieux doute sur la culpabilité du jeune homme.
Est-ce à dire que ce qui est juste n’est pas si évident qu’il n’en paraît ?
II. UNE DESOBEISSANCE LEGITIME.
1. Equité : le juge arbitre.
L’individualisation des peines est un principe de justice. Les 51 accusés du procès des viols de Mazan ont tous été traités individuellement, en permettant à six d’entre eux chaque semaine d’obtenir une enquête de personnalité et revenir sur leur propre passé. Il s’agissait de comprendre les motifs de chacun d’entre eux.
Thomas d’Aquin propose donc de faire appel à une vertu particulière du juge : son équité. ATTENTION : ça n’a rien à voir avec le sens moderne d’équité qui renverrait à l’« égalité des chances ». Ici l’équité est l’attention portée à la singularité d’un cas. Elle est ce qui pourra permettre de savoir à la fois sous quelle loi tombe un cas particulier, et donc quel principe il faut préférer lorsqu’il y a une hésitation sur les lois à mettre en œuvre.
Exemple donné par Thomas d’Aquin : si un homme fou réclame son épée, il y a deux principes qui s’opposent. D’un côté, il peut faire valoir son droit de propriété (c’est mon épée, j’ai le droit de la récupérer). D’un autre côté, il existe un principe de défense de l’ordre public (un homme fou avec une épée est dangereux). Le juge doit donc choisir entre le droit d’un particulier et l’idéal de bien commun. Ici, il choisit le bien public. Le principe de hiérarchie des normes l’y conduit. Car certaines lois sont plus fondamentales que d’autres. Mais il faut qu’un juge réévalue sans cesse l’application de ces lois, car il est impossible qu’il n’y ait pas de nouveau cas litigieux qui appelle de faire appel à l’équité du juge (pensez aux enfants nés de GPA, dont on ne sait pas s’ils doivent être reconnus comme citoyens parce que la GPA n’est pas autorisé en France, pensez à l’utilisation des travaux artistiques du studio Ghibli disponibles sur internet pour nourrir une IA qui permet de transformer des photos dans un style Ghibli).
C’est la connaissance des principes de justice qui lui permet de trancher entre deux cas possibles d’application de la loi. Thomas d’Aquin s’empresse donc de préciser que ce n’est pas contrevenir aux lois écrites (à la lettre, à la légalité des lois, ou à leur droit positif) mais c’est interpréter la lettre à partir de l’esprit de la loi (sa légitimité).
Précisons ici que seul le juge est autorisé à ne pas obéir à la lettre de la loi. Les citoyens ici n’ont pas leur mot.
Il faut distinguer le juste du judiciaire : le juste énonce le principe qui doit régler les relations entre les membres d'une même société, et le judiciaire est le domaine de ceux qui rendent concrètement la justice. Le judiciaire n'est pas nécessairement partagé ou connu de tous. Il est souvent associé à une compétence technique, qui est le propre de la connaissance des lois. A ce titre, il y a donc bien une asymétrie au sein même du pouvoir dans la mesure où les citoyens n'ont pas toujours la compétence de comprendre le fonctionnement de sa propre justice.
Le judiciaire peut donc étonner ou être discuté. Car il y a des cas où l'on s'est historiquement trompés comme lorsqu’on ont été ignorées les preuves ADN contre OJ Simpson (car à cette époque l’ADN était quelque chose d’encore de nouveau). On peut soutenir que les jurés déclarent ce qui pour une époque et un temps semble vraisemblable. A ce titre, ce verdict est juste. La justice ne dit pas le vrai. On reconnaît d’ailleurs le droit au suspect de mentir ou de se taire (tout simplement parce qu’on ne peut pas l’en empêcher).
Regardez American Crime Story OJ Simpson (particulièrement l’épisode 8).
2. Thoreau : être gouverné le moins possible.
Mais imaginons que les citoyens soient désormais plus à même de comprendre le fonctionnement de la justice. Ne peuvent-ils pas juger les décisions de justice ? Et donc ne pouvons pas nous aussi désobéir légitimement à l’état, au nom de principe supérieur ?
Le premier à écrire sur la désobéissance civile, qui inspirera Gandhi, Luther King ou Mandela, est David Thoreau.
(Le texte ici : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Désobéissance_civile )
Sa désobéissance n’est pas la plus spectaculaire, il a refusé de payer ses impôts, parce que l’état américain était esclavagiste et engagé dans une guerre injuste à l’égard du Mexique (le Président Polk prend prétexte d’une attaque des Mexicains pour revendiquer une contre-attaque et finalement une annexion des territoires mexicains – dès le début les whigs critiquent ce droit à faire la guerre, qui est usurpé par Polk et qui engage les Etats-Unis tout entier dans une guerre contre le Mexique). Thoreau passe quelques jours en prison. Mais il prend conscience que ce geste, de résistance pacifique pourrait faire basculer un état injuste. Il reprend sans le savoir la formule de La Boétie (dans De la servitude volontaire) : « soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ».
Sa critique porte sur deux points : une critique de l’état et un rappel du pouvoir des individus.
1) chaque état possède une armée, chaque état est donc toujours dangereux dans l’exercice de son pouvoir. Et si on doit croire qu’un « pouvoir absolu corrompt absolument » ce pouvoir finira forcément par être utilisé à mauvais escient. Il faudrait donc désarmer l’état. L’état ne doit être qu’une « utilité » (c’est-à-dire s’occuper des services publics en somme, sans jamais offrir la possibilité d’exercer un pouvoir plus grand, ni militaire ni économique). La phrase qu’il faut retenir est donc la devise de Thoreau : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins ».
2) Par ailleurs, l’individu est toujours susceptible d’agir. Justement parce qu’il peut ne pas agir. Il est faux de croire qu’on est impuissant, puisque l’état dans son exercice suppose toujours une activité a minima de ses citoyens. La puissance de l’état est donc bien proportionnel à la participation de ses citoyens. Aucun état ne peut donc se croire autonome, et écraser purement et simplement la liberté individuelle. Car l’état lui-même ne fonctionne qu’à l’énergie de la participation constante des citoyens. Les citoyens peuvent toujours faire grève, voire pour éviter une guerre, comme dans la pièce d’Aristophane Lysistrata : faire grève de sexe (les épouses cherchant à convaincre leur mari de ne pas faire guerre).
L’individu doit se méfier de l’état, mais il peut s’organiser politiquement par la résistance pacifique. « Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. »
L’individu démocrartique n’est pas isolé, indifférent et impuissant comme le prétendait Tocqueville. Ou plutôt s’il était impuissant, la commune injustice qui s’abat sur lui lui permettrait de préparer sa riposte. C’est le sens de l’action de résistance non-violente des Indiens contre les Britanniques : ils cessent de travailler et ramène ainsi les colons anglais à l’impuissance. C’est la plus belle preuve historique qu’une telle désobéissance pacifique est efficace.
Mais peut-on désobéir sans affaiblir la légitimité même des lois ? C’est là qu’il ne faut pas confondre la pure désobéissance de la désobéissance légitime. Car Thoreau donne ste également de ne pas collaborer avec un état français esclavagiste, colonisateur ou sexiste (qui par définition divisait les citoyens en fonction de la race ou sexe). Par conséquent, le citoyen doit savoir qu’au-delà des lois, il y a une légitimité à résister aux lois.
Mais est-il également capable de juger de l’application de la loi ? Peut-il se faire justice lui-même ?
III. VIVRE HORS LA LOI ?
1. Anarcho-syndicalisme : vivre sans chef et sans loi.
A-t-on besoin d’un chef pour s’organiser ? Non. Lorsqu’une partie de football s’organise dans la cour, est-ce parce que des chefs ont organisé les règles et déterminé les équipes ? Non. Les joueurs ont pu définir eux-mêmes des règles, ou même des règles particulières.
C’est le point de départ des convictions anarchistes. Les humains ne sont pas si incapables de se gouverner eux-mêmes. Le gouvernement (« arkhê » en grec) n’est pas utile si on entend par gouvernement un pouvoir tutélaire (il faudrait utiliser le terme d’acratie). L’anarchisme n’est pas l’anomie, qui est une absence de règles. Il s’agit plutôt de promouvoir l’ordre de la liberté, c’est-à-dire supposer un ordre spontané, né de la liberté individuelle.
Elisée Reclus, géographe et anarchiste, discutait de cette possibilité avec des amis qui lui donnaient l’exemple du navire sur lequel ils naviguaient. Ils demandent alors leur avis au capitaine, parce qu’ils croyaient qu’il irait dans leur sens.
« Vous commandez ici ! Votre pouvoir n’est-il pas sacré, que deviendrait le navire s’il n’était dirigé par votre volonté constante ? »
– Homme naïf que vous êtes, répondit le capitaine. Entre nous, je puis vous dire que d’ordinaire je ne sers absolument à rien. L’homme à la barre maintient le navire dans sa ligne droite, dans quelques minutes un autre pilote lui succèdera, puis d’autres encore, et nous suivrons régulièrement, sans mon intervention, la route accoutumée. En bas les chauffeur et les mécaniciens travaillent sans mon aide, sans mon avis, et mieux que si je m’ingérais à leur donner conseil. Et tous ces gabiers, ces matelots savent aussi quelle besogne ils ont à faire, et, à l’occasion je n’ai qu’à faire concorder ma petite part de travail avec la leur, la plus pénible quoique moins rétribuée que la mienne.
Comme chez Rousseau, l’objectif pour être juste est de se défaire des liens de dépendances artificielles que la société construit en nous. C’est ce qu’Elisée Reclus appelle la renaturation. Cet effort réalisé, les causes de la plupart des désordres sociaux devraient disparaître. Plus de violences si les raisons sociales de cette violence ont été éradiquées.
Aucune punition n’est possible s’il n’y a pas de loi. Comment réparer alors un crime ? Le programme des anarchistes consistent essentiellement en une prévention des crimes par l’éducation. L’éducation seule permet finalement une réintégration sociale.
Cela est-il réellement suffisant ? N’y a-t-il pas de réfractaire absolu, de Mal absolu (qui n’est causé par rien et qui ne pourrait jamais être corrigé)…?
2. Concurrence des états et société de marché.
La solution des libertariens consiste à réduire toute interaction sociale à un échange économique. La liberté est l’équivalent de la propriété de soi, et la propriété des objets qui nous sont propres. Être libre, c’est posséder.
Pour un libertarien, tout conflit ne doit pas se régler devant un tribunal mais par un contrat et une transaction. Certains prennent l’exemple de la justice islandaise du Xe au XIII où le meurtre se réglait par une amende à payer auprès de la famille, comme si la vie était un bien qu’on pouvait s’acheter. Les amendes elles-mêmes pouvaient être l’objet d’une transaction et être échangées à d’autres.
Dans le modèle libertarien, l’état doit disparaître. En effet, les impôts sont considérés par Rothbar par exemple, comme du travail supplémentaire, donc forcé, ce qui fait de l’état un escalavagiste. Les libertariens devraient donc avoir recourir à des milices ou des mercenaires pour rendre justice, et comme dans tout marché, la concurrence aidant, la meilleure milice ou le meilleur tribunal jouerait le rôle d’arbitre de la loi. Dans ce cas, il n’y a d’autre autorité que le marché. L’état lui-même n’est qu’un bien, dont on devrait pouvoir acheter la citoyenneté et qui comme tel, un peu comme destination touristique, serait susceptible de concurrence. La démocratie ne semble pas bonne en soi aux libertariens, puisqu’elle s’oppose trop souvent aux solutions commerciales. Dans ce cas, il n’y a aucune impartialité possible ni même promise. La justice n’est que la justice des plus puissants, des plus riches. Que vaut le principe d’une liberté d’échange quasi-absolue si seule ceux qui sont riches peuvent véritablement en profiter ?
En conclusion, on ne peut pas se faire justice soi-même, bien que l’équité promise par l’état soit fragile. Les citoyens ne peuvent pas tenir la justice pour acquise, mais ne peuvent pas non plus se séparer de tout état à moins de dépasser les impasses de l’anarchisme.